Plasticien, graphiste, animateur et membre du collectif d’artistes Mille au carré, Tony Vanpoucke est Fabmanager au sein de l’Edulab, le Fablab de l’université Rennes 2. Proche des principes de facilitation et engagé pour la médiation des cultures numérique auprès du public, Tony s’intéresse de près aux arts et à l’expérimentation. Menant de nombreux projets tant professionnels que personnels, découvrez le portrait d’un personnage surprenant.
Qui es-tu ?
Bonjour, je m’appelle Tony Vanpoucke et je suis fabmanager à l’Edulab, Fablab de l’université Rennes 2. Je suis en charge depuis maintenant quelques années de ce tiers lieu dédié à la fabrication numérique qui met particulièrement l’accent sur les processus d’apprentissage par le faire.
D’abord plasticien, mais aussi graphiste puis animateur, je me dirais aujourd’hui proche des principes de facilitation et engagé pour la médiation des cultures numérique auprès du public. Je vois le Fablab, autant comme un terrain d’expérimentation pratique que comme un endroit médiatisant une culture numérique : un numérique du « faire ensemble », assez éloigné des représentations parfois technocentrées.
Diplômé d’un Master Arts et technologies numériques, tu es aujourd’hui Fabmanager. Comment es-tu devenu Fabmanager et d’où te vient cet intérêt pour les arts et les nouvelles technologies ?
J’ai n’ai développé un goût pour les nouvelles technologies qu’assez tardivement finalement. Avant cela, durant mes études en Arts Plastiques à l’UCO d’Angers, j’étais alors plutôt tourné vers l’art vidéo. Mais à force de pratique on commence à vouloir expérimenter des caméras atypiques et les supports-écrans semblent soudainement étriqués, alors on poursuit en imaginant des dispositifs techniques pour obtenir des images inédites et enfin on découvre les possibilités qu’offre Arduino ou le logiciel Pure-data pour créer de l’interactivité, des automatismes et autres jeux avec le public.
Pour créer avec ce type d’installation, interactive ou non, la dimension technique s’impose alors. Ainsi, la question est souvent de savoir comment manipuler ces techniques. Pendant mes années de master, nous avions bien des initiations à ces techniques, mais la solution souvent employée était de se réunir en petits groupes d’étudiants au début de l’été pour faire des semaines d’entraide pour avancer concrètement sur nos projets plastiques ou d’art numérique en cours. Cette période correspondait pour nous en tant qu’étudiant à la création des premiers Fablabs à Rennes que nous avons par la suite fréquenté ponctuellement pour retrouver cette dynamique d’entraide.
La ville de Rennes possède aujourd’hui un réseau très étendu de Fablab et autres tiers lieux favorisant ce type d’entraide, c’est quelque chose d’assez précieux et qui a permis, me semble-t-il, à toute une génération dont je fais partie d’être fortement sensibilisée à ce qu’on pourrait appeler la « création numérique » ou le fait de s’appuyer sur des outils numériques pour créer (que ce soit en art, en discipline technique ou dans la vie citoyenne).
En tant que Fabmanager de l’Edulab, quelles sont tes principales missions ?
Quand on pense aux missions de fabmanager, il y a des missions qui viennent rapidement à l’esprit.
– La gestion du lieu d’abord : de son calendrier aux règles diverses qui régissent le fonctionnement du lab (quelle jour ouvre-t-on le Fablab au public extérieur, quelle sont les possibilités de réservation des machines, comment faire la maintenance des machines, les achats de consommables …).
– On peut aussi penser à l’accueil des publics : faire de la médiation autour des pratiques numériques, veiller à ce que les publics accèdent au lieu et s’y sentent à leur place. Il faut pour cela qu’ils soient accompagnés dans leur projet (par les usagers ou par le fabmanager).
– Puis vient aussi la question de l’animation du lieu : comment organise-t-on les formations d’éventuels workshop, hackathon, ou autre événement.
À l’Edulab en particulier, comme d’autres Fablabs en milieu universitaire, d’autres missions viennent s’ajouter. C’est ainsi que j’accompagne les enseignements en Fablab. En 2020-2021, par exemple, nous collaborons avec 17 formations universitaires (le plus souvent en master et dans les filières pro) et il y a donc une grande partie de notre temps qui est consacré à cet axe d’enseignement en Fablab et à la co-élaboration de ces blocs de cours.
Je voudrais ajouter à cela certaines autres missions que le fabmanager effectue et qui sont souvent méconnues des usagers, mais qui ont pourtant une grande importance.
– Le Fablab ayant pour objectif non seulement d’être un lieu ressource, mais aussi d’avoir un certain impact sur son territoire, le fabmanager se doit aussi de participer à un réseau. Établir les liens entre les structures, participer aux événements et finalement avoir une vision d’ensemble sur les pratiques, les différents types de publics, etc.
Cette mise en réseaux d’acteurs du numérique et parfois d’horizon très différent est selon moi d’autant plus importante qu’elle nous permet de dialoguer et d’échanger sur nos propres pratiques. Cette mise en commun nous permet de faire une sorte de veille commune, il est donc plus facile d’anticiper les pratiques futures des usagers ou les évolutions possibles des activités en Fablab. Par exemple, il y a un réel engouement actuellement pour la pratique du textile en Fablab ou encore un regain d’intérêt pour les systèmes de « badges » ou la visualisation de compétences développés en Fablab. Mettre en communs nos recherches, retours d’expérience et nos intuitions ne peuvent que faire avancer de manière pertinente certains sujets questionnant pour nous.
Situé au cœur du campus de Rennes 2, de nombreux étudiants viennent à l’Edulab pour développer des projets dans le cadre de leurs cursus. Comment les accompagnez-vous, quelles ressources sont mises à leurs dispositions ?
L’accompagnement des étudiants en particulier est quelque chose nous affectionnons, d’autant plus qu’avant tout accompagnement, il faut prendre conscience qu’à Rennes 2 nos étudiants suivent des cursus Science humaine et rencontrent parfois, de ce fait, une certaine appréhension générale des pratiques numériques. Il est ainsi fréquent que les étudiants aient peur de manipuler des outils qui ne seraient « pas pour eux ». Dans notre accompagnement, nous devons avant tout faire en sorte que nos étudiants s’approprient ces outils. Le numérique est un bien commun, il est aussi à vous. C’est pour cela notamment que nous avons imaginé des formations libres pour tous, étudiants comme extérieurs à la fac, afin de permettre à ces « apprenants » de prendre confiance en eux et dans les outils, de connaître les rudiments historiques et techniques de tel ou tel outils.
Pour aller plus loin dans ces « tutorats », nous mettons également à disposition, depuis cette année, des ressources vidéos disponibles pour l’autoformation chez soi. Cela apporte souvent un bon complément et des solutions sur des problèmes purement techniques. Pour aller plus loin ou pour suivre des cours plus complets, nous invitons régulièrement les étudiants à suivre des Mooc comme ceux proposés par nos collègues de l’IMT atlantique.
Au-delà de ces accompagnements formels et à visée « certifiante », il y a aussi tous les accompagnements donc plus informels qui se font directement au Fablab. Il est fréquent que les usagers viennent spontanément en demandant de l’aide. Pour leur répondre, nous sommes une petite équipe de 2 dans le Fablab (Valentin Samson, actuellement en master 2 TEF et moi-même), à qui il faut ajouter des moniteurs étudiants et bénévoles venant aider durant nos ouvertures.
Pour ces accompagnements le rapport humain et le cas par cas me semblent irremplaçables. En Fablab, il ne suffit pas de trouver simplement des solutions techniques pour un étudiant, ce qui est important c’est avant tout de faire en sorte d’emmener l’étudiant vers des pratiques de plus en plus autonomes. S’il souhaite par exemple réaliser un capteur de bruit, pour un cours, il est plus intéressant de l’accompagner à la veille documentaire, de le mettre en relation avec d’autres personnes ayant des intérêts similaires, de lui faire prendre conscience du temps qu’il va y consacrer, etc. que de lui déployer simplement une liste de cours à suivre et de matériel à se procurer. En effet, on vient en Fablab avant tout pour trouver une communauté de pratique, pour se solutionner par le collectif et pratiquer en groupe plutôt que pour solutionner des problèmes individuellement.
En parallèle de ton poste de Fabmanager, tu es artiste plasticien. Peux-tu nous en dire davantage sur ton travail, les projets en cours ?
Je fais partie depuis mes années d’études du collectif d’artistes Mille au Carré avec qui j’ai essentiellement créé et exposé ces dernières années. Il s’agit du même groupe de personnes que j’évoquais tout à l’heure et avec qui nous faisions de l’entraide de projet à l’université. Cette association est toujours bien active aujourd’hui et s’est recentrée essentiellement sur l’art numérique. Elle est aujourd’hui hébergée à l’Armada Production. Dans le collectif, j’étais celui qui questionnait par mes installations la notion de manipulation (et plus précisément le couple : manipuler l’objet / se faire manipuler par lui). En art numérique, j’ai toujours trouvé le rapport à la technique parfois ambiguë : dans certaines installations la frontière entre démo-technique et art est parfois très mince et il n’est pas rare de voir des spectateurs se poser plus de questions sur le « comment c’est fait » que sur ce que raconte la pièce (de son auteur, de sa vision d’un sujet donné). Alors que dans certaines installations d’art numérique on met en avant une certaine facilité de prise en main des œuvres pour le public, mes installations prennent souvent le chemin inverse et, tout en utilisant le même « vocabulaire ergonomique », brouillent totalement les pistes : je vois que l’oeuvre peut être manipulée, mais comment ? Là-dessus chaque spectateur y va de son intuition personnelle et finalement réinvente sa propre manière d’interagir avec l’oeuvre. En soi il n’y a pas de fonctionnement, seulement une tentative de dialogue avec une œuvre. Malheureusement ces pièces ont aujourd’hui quelques années et sont pour la plupart hors service. J’ai encore quelques projets purement plastiques dans les cartons, mais je peux produire moins souvent du fait de ma nouvelle activité.
En ce moment, je suis plus attiré sur le ludique : Hacks ou inventions de jeux électroniques ou mash-up de jeux de plateau bien connus. Mais pour rester dans la thématique Fablab, je travaille sur mes heures perdues sur un détournement du jeu de mémoire assez emblématique le Super Simon. L’objectif : le transformer en jeux de mémoire collectif pour une « grande tablée » de 6 joueurs. Ces productions ludiques sont en ce moment des projets plaisir et il me plaît de pouvoir proposer ces jeux (comme mes installations) très librement à des événements variés. Mais, je dois avouer que la période actuelle et le manque de festival ont beaucoup freiné mes prêts de jeux. Comme tout le monde, j’ai aujourd’hui très hâte que la vie reprenne son cours pour avoir quelques retours sur mes créations.
Si tu devais choisir un projet coup de cœur sur lequel tu as travaillé en cette année contrainte, quel serait-il et pourquoi ?
C’est une question difficile, à cause de la crise sanitaire, nous n’étions ouverts qu’aux étudiants, mais il y a cependant eu beaucoup de projets intéressants réalisés cette année qui étaient donc essentiellement reliés à des cursus universitaires. Je pense notamment au projet Via-bird (prendre en photo les oiseaux dans une mangeoire/abreuvoir connectée) qui a été repris par la maison de quartier la Touche et avec qui des étudiants en master géo ont pu faire équipe. Je pense aussi aux projets de fin d’année des L3 en spécialité « fabrication numérique » qui ont réalisé une maquette d’appartement étudiant tout bonnement incroyable. Les projets du cours « modélisation 2D » des Deust 1 Usetic qui ont réalisé en 4h un niveau de Super-Mario en découpe laser (!!). Ou encore le projet de médiation du Master Magemi de cette année, qui à imaginé une exposition photo en extérieur réalisée en grande partie en découpe laser et dont le travail graphique investit fût très inventif.
Mais si je peux m’étendre sur un projet en particulier je proposerais :
– Guiano (la guitare d’escalier) : Le principe est très simple, mettre des capteurs de distance sur les marches de l’Opéra de Rennes pour le transformer en « guitare ». Chaque pied rencontré sur les marches devient comme des cordes pincées et sont remplacées numériquement par des vocalises préenregistrées. Nous avons réalisé ce projet lors de l’hackathon à l’Opera en fin septembre dernier : Opéramorphose. Pourquoi je retiens ce projet, parce que malgré le fait que le projet soit assez classique, il s’agit d’un des seuls projets de l’année ayant été réalisés à la fois par des étudiants, des Makers et des professionnels de Rennes.
De plus ce projet est né de manière totalement spontanée : les facilitateurs ayant une demi-journée d’avance sur leur planning, nous avions tout le loisir de réaliser un 5e projet bonus (en plus des projets des 4 équipes) à proposer au public. Tous les participants à ce projet bonus ont complété leurs compétences à merveille et en à peine 3h, nous avions installé un projet qui a surpris tout le monde à commencer par le public et les organisateurs de l’événement.