Portrait de Maker #152 : Frédérique Pinson

Frédérique Pinson, ingénieure en informatique chez Orange Innovation à Lannion (22), allie sa passion pour le sens et la fabrication artisanale. Passionnée par les projets à forte valeur ajoutée et la création, elle s’engage activement dans des initiatives RSE visant à réduire les inégalités numériques. À travers la Baah Box, un projet innovant de rééducation musculaire, elle conjugue son expertise technique avec sa sensibilité sociale. Initialement conçue pour une prothèse de main imprimée en 3D, la Baah Box est devenue un outil ludique et abordable, offrant une rééducation agréable pour les enfants et les adultes. Avec une récente adaptation pour les appareils Android et des partenariats pour une fabrication simplifiée, Frédérique œuvre pour rendre la Baah Box accessible à tous, incarnant ainsi la vision d’une technologie inclusive et bienveillante.

Qui es-tu ?

Je suis ingénieure en informatique au sein de la branche Innovation d’Orange, à Lannion (22).

J’aime travailler sur des projets (professionnels ou personnels) qui ont du sens, et j’adore fabriquer des choses avec mes mains (bois, résine) aussi bien qu’avec un peu de 3D, d’électronique et de programmation. De plus, je préfère tenter de réparer que de jeter… C’est pourquoi je suis également membre du FabLab de ma ville.

Une partie de mon activité professionnelle (et personnelle) est liée à l’un des objectifs RSE (Responsabilité Sociale d’Entreprise) d’Orange : la réduction des inégalités numériques. Cela implique d’organiser des sessions d’initiation à la programmation ou à la modélisation 3D pour les enfants, soit lors d’événements internes à Orange, soit en externe (Fête de la science, etc.).

Le projet Baah Box s’inscrit dans cette démarche RSE, et me permet, en participant à des salons tels que Tech Inn’Vitré ou le Nantes Maker Campus, de sensibiliser les gens au handicap ainsi qu’à la technologie. Cela me donne également l’occasion de montrer aux jeunes (enfants ou adolescents) que la technologie n’est pas seulement amusante à utiliser, mais qu’elle peut aussi être utile !

En tant qu’ingénieure logiciel, tu as collaboré avec une équipe de chercheurs pour créer le projet Baah Box. Pourrais-tu partager ton parcours professionnel et nous expliquer ce qui t’a motivée à t’engager dans le domaine de la recherche ?

En fait, j’ai commencé ma carrière dans la recherche, dans le domaine de l’Intelligence Artificielle. Par la suite, comme j’ai une fibre « Maker », j’ai travaillé sur des projets de recherche sur des objets connectés – que nous prototypions avec des Arduinos, des capteurs, etc. Depuis quelques années, je travaille sur des applications mobiles.

On peut dire que mon parcours professionnel se reflète dans le projet Baah Box : architecture matérielle et logicielle, Arduino, capteurs, réseaux et applications mobiles.

Comment est née l’idée de créer le projet Baah Box et quel a été ton rôle depuis le début ?

Mon entité (Orange Innovation) nous alloue 10 jours par an pour travailler sur un projet non officiel. J’ai monté avec un collègue un projet de prothèse de main imprimée en 3D pour enfants, configurable depuis un smartphone. Lorsque nous avons eu un prototype fonctionnel (co-développé pour la partie mécanique avec le Fablab de Lannion), il nous a fallu des testeurs… et c’est là que l’idée de la Baah Box est arrivée. Car pour piloter une prothèse de main, c’est-à-dire pour lui donner l’ordre de faire un geste précis (par exemple de pointer l’index pour taper sur un clavier), il faut utiliser ses muscles et sa mémoire !

La prothèse est reliée à des capteurs de contraction musculaire positionnés sur deux muscles (en général antagonistes) et l’utilisateur effectue une combinaison de contractions précises pour obtenir un geste donné. Pour chaque geste de la main que nous faisons sans y penser, une personne équipée d’une prothèse doit se souvenir de la combinaison de contractions à effectuer et être capable de les faire. Cela demande un apprentissage assez long et générateur de migraines. Il faut se rendre dans un centre de rééducation fonctionnelle pour accéder à un équipement qui permet de s’entraîner.

Il n’y avait pas sur le marché (commercial ou open source) de produit permettant de s’entraîner à utiliser ses muscles pour piloter une main, et qu’on puisse ramener à la maison ou utiliser chez un kinésithérapeute proche de chez soi. Nous avons donc mis de côté le projet de la prothèse pour créer ce type d’équipement.

Nous avons abouti à un petit boîtier relié à des capteurs musculaires comme ceux utilisés pour les prothèses. Pour rendre l’apprentissage ludique pour des enfants, nous avons développé des jeux sur smartphone qui sont pilotés par les capteurs musculaires via le boîtier. La première version de la Baah Box était née…

Puis, à la demande d’un centre de rééducation fonctionnel (Lannion-Trestel dans les 22) qui a testé la Baah Box, nous avons rajouté un joystick, afin qu’ils puissent aussi l’utiliser pour la rééducation du membre supérieur.

En ce qui concerne mon rôle dans le projet, en dehors du montage et de la coordination, j’ai contribué à tous les aspects (sauf le design) : que ce soit pour la recherche d’une bonne architecture matérielle ou logicielle, au développement Arduino, ou application mobile…

Quels ont été les moteurs de motivation de votre équipe, et comment s’est constitué le groupe de développeurs et designers d’Orange pour ce projet ?

Au début, c’était très simple. Je fais partie d’une entité spécialisée dans le développement logiciel, et j’y ai trouvé assez de personnes (développeurs/ses et une graphiste) motivées pour y participer. Un projet de ce type, utile, ludique et visant les enfants, intéresse facilement les gens !

Comme ce projet s’appuie sur le volontariat dans le cadre du travail et sur les fameux 10 jours, la plus grande difficulté a été d’arriver régulièrement à faire « décrocher » mes collègues de leurs projets habituels pour utiliser une partie de leurs 10 jours… Il a fallu organiser des séances de travail, préparer les tâches des uns et des autres en fonction de leur disponibilité. Nous sommes arrivés à un « produit fini », mais cela a pris du temps…

Quels défis avez-vous rencontrés lors de la conception de la Baah Box, et comment avez-vous réussi à les surmonter pour rendre le kit accessible et facile à construire ?

Nous visions dès le départ un public de particuliers, kinésithérapeutes ou ergothérapeutes, pas tous à l’aise avec la soudure ou la programmation, mais pouvant se faire aider par un Maker, par exemple. Donc le défi consistait à concevoir dès le début un boîtier facile à fabriquer, fiable et pas trop cher. Cela impliquait de partir sur du matériel disponible dans le commerce (sites ou magasins dédiés Makers), facile à mettre en œuvre, avec un peu de soudure (le moins possible !) et un peu d’impression 3D.

À force de chercher, j’ai fini par trouver du matériel qui répondait à ce cahier des charges chez Adafruit (désolée pour la pub), qui propose un écosystème complet et modulaire, avec ses cartes Feather (type Arduino). On peut facilement y empiler des shields pour gérer une carte SD ou un écran, ajouter une batterie, ou un proto-shield. Le filtrage des données (beaucoup d’imprécision et de bruit) venant des capteurs a aussi été un petit défi, mais j’avais dans l’équipe des spécialistes de ce genre d’algorithme, donc ça s’est bien passé.

Pour la première version du joystick, nous avons pris un joystick de borne d’arcade sur lequel on adapte des formes différentes de boules, cylindres ou plaquettes, en fonction des mouvements à faire pour la rééducation. C’est une solution peu onéreuse et versatile.

Comment la Baah Box fonctionne-t-elle concrètement, en particulier en ce qui concerne son interaction avec les électrodes et les jeux sur smartphone ou tablette, et quels sont les avantages spécifiques de ce kit pour les personnes amputées ou en rééducation fonctionnelle ?

On branche des capteurs musculaires, ou gestuels, (comme un joystick) sur la Baah Box. Lorsque l’on bouge le joystick ou que l’on contracte un muscle, la Baah Box récupère l’info, la filtre, et transmet en Bluetooth des informations à l’application mobile, qui va faire bouger les personnages ou les objets d’un jeu en fonction de ce qu’elle a reçu.

On va pouvoir par exemple faire sauter des barrières à un mouton (on contracte un muscle pour le faire monter), ou faire bouger un vaisseau spatial pour éviter des astéroïdes en contractant le muscle de droite ou de gauche.

Nous avons développé des jeux à difficulté croissante, pour permettre à l’utilisateur d’apprendre tout en douceur à maîtriser ses muscles ou ses mouvements, tout en s’amusant.

Les avantages spécifiques de ce kit se résument en quatre mots :

  • Le jeu : on fait sa rééducation/préparation en s’amusant au lieu de faire des gestes répétitifs.
  • La portabilité : on peut l’amener à la maison pour jouer et donc progresser plus vite, et surtout limiter des trajets réguliers dans un centre de rééducation fonctionnelle.
  • L’évolutivité : Côté jeux, nous avons en préparation un kit Scratch pour qu’un enfant puisse lui-même programmer ses jeux. Côté capteurs de rééducation, on peut adapter sur la BaahBox n’importe quel type de capteur fabriqué maison (capteur de pression sur un gobelet) ou modifié (de joystick de fauteuil roulant).
  • La gratuité : tout est en open source sur le repo GitHub d’Orange.

Comment votre équipe a-t-elle assuré l’accessibilité du kit Baah Box en termes de coût et de facilité de construction, et en quoi la publication des plans en open source a-t-elle favorisé cet objectif d’accessibilité ?

Pour le coût du matériel, le choix a été fait dès le départ d’utiliser des composants « sur étagère » ou peu onéreux et faciles à fabriquer. La mise en Open Source permet à toute personne de télécharger gratuitement les plans (3D, découpe laser pour le boîtier et le joystick), ainsi que les sources du logiciel à mettre dans la carte Feather, ou encore les jeux.

Il n’y a pas de prix de licence ou d’abonnement, il faut juste acheter le matériel nécessaire pour monter une Baah Box.

Nous avons fait un gros effort de documentation avec des tutoriels pas à pas pour monter la BaahBox : un mode d’emploi des applis, du boîtier une fois fini, etc. Pour ceux qui voudraient une Baah Box toute faite, j’ai établi un partenariat avec le FabLab de Lannion pour vendre les kits (montés) à prix coûtant.

Et bien entendu, sur le repo GitHub d’Orange, vous trouverez mes coordonnées pour toute personne ayant des difficultés à la monter.

Peux-tu partager des exemples concrets de la manière dont les patients utilisent la Baah Box dans leur rééducation quotidienne ?

La Baah Box a été testée par le centre de rééducation de Lannion-Trestel pour la rééducation des membres supérieurs. Les patients ont effectué des exercices avec le joystick, notamment pour rééduquer leurs doigts, leur poignet, etc.

L’équipe d’ergothérapeutes qui l’a utilisée disposait d’un vieux joystick des années 90 et souhaitait l’utiliser avec les jeux de la Baah Box. C’est là que nous avons ajouté la possibilité de connecter d’autres éléments que des capteurs musculaires, découvrant ainsi tout le potentiel de la Baah Box pour la rééducation.

La Baah Box peut également être utilisée en Ehpad, par exemple, pour aider des personnes âgées à travailler leur motricité fine.

Pourquoi avez-vous choisi d’incorporer des jeux ludiques, surtout pour les enfants en rééducation, dans le projet Baah Box, et en quoi cette approche ludique renforce-t-elle l’engagement des patients dans leur processus de rééducation ?

Tous les professeurs des écoles du monde te diront la même chose : on apprend mieux en jouant ! Et l’équipe d’ergothérapeutes de Lannion-Trestel nous disait la même chose pour leurs patients adultes : quand on joue, on ne compte pas le temps, donc la rééducation se fait plus facilement et plus vite ! Enfants comme adultes…

Quelles sont les perspectives futures du projet Baah Box ?

Jusqu’à récemment, nous n’avions qu’une application mobile pour iPhone et iPad, ce qui a beaucoup freiné la diffusion de la Baah Box. La plupart des ergothérapeutes ou kinésithérapeutes intéressés ne pouvaient pas l’utiliser.

Je vais pouvoir les recontacter, car j’ai récemment développé une version Android qui pourra tourner sur d’autres marques de smartphones (Samsung, etc.).

Je me suis aussi rendu compte que peu de personnes se voyaient aller dans un FabLab pour demander qu’on leur fabrique une Baah Box. D’où le partenariat avec le FabLab de Lannion pour proposer une version montée.

J’ai également un projet en cours de montage pour utiliser la Baah Box avec un joystick de fauteuil roulant, afin d’entraîner les personnes qui vont en être équipées avant d’être mises en situation.

Enfin, dans les tuyaux, nous développons une version de la Baah Box qui pourra s’interfacer avec un jeu Scratch sur ordinateur, que les enfants pourront modifier eux-mêmes…

Jean-Marc Méléard
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