Titulaire d’une maîtrise en philosophie, webmaster et coordinateur de l’association My Human Kit, Hugues Aubin est aujourd’hui chargé de mission au numérique pour Rennes Métropole, administrateur pour le Réseau Français des Fablabs et référent sur le projet Makers Nord Sud. Grand passionné et ouvert sur l’avenir, Hugues se qualifie de Dinosaure du web et explorateur. Toujours en quête de solutions pour rendre le monde meilleur, il est aussi le fondateur de l’association le Climate Change Lab.
Qui es-tu ?
J’ai 51 ans et je suis un peu un dinosaure du web. Mon père m’a appris à programmer en basic en 1982 sur un ordi qui se branchait sur la télé. Quand internet est arrivé en France en 1994 cela été un choc et une passion qui m’a amené à apprendre, expérimenter. Au cours de ma vie professionnelle et personnelle, j’ai eu la chance de participer à pas mal de projets qualifiés d’expérimentaux. L’expérience la plus longue, passionnante et épuisante de prototypage a été la Bibliothèque francophone du Metaverse et le Métalab 3D des cyberterritoires, des espaces virtuels 3D immersifs sur internet où on a accueilli plus de 80 projets nationaux et internationaux de 2007 à 2011 (dont la saison réelle virtuelle de l’opéra de Rennes). Mais je n’avais pas encore rencontré mes mains. Au fil du temps les collectifs et projets m’ont amené à sortir des écrans pour fabriquer en groupe des espaces d’expériences interactives et partagées. Et puis finalement aujourd’hui je me retrouve dans des communautés et espaces qui essaient de partager le « pouvoir du faire ». Je me qualifierai d’explorateur dans la mesure où une fois que cela marche, je vais essayer autre chose. Ce qui m’intéresse ce n’est pas vraiment la technique, mais pourquoi et comment on outille quoi avec. Ça peut s’explorer en essayant.
Impliqué dans le milieu des FabLabs, tu occupes aujourd’hui le poste de Chargé de mission au numérique pour Rennes Métropole. Quel a été ton parcours ?
Et bien après une maîtrise en philosophie, j’ai d’abord été recruté dans une association qui s’est emparée du web à ses débuts, à Lorient, en 1993 (Azimut). Assez rapidement je suis devenu webmaster chef de projets, puis responsable formation et qualité de l’entreprise issue de l’association, et j’ai été embauché en 1999 chez le leader européen du matériel et du médicament vétérinaire de l’époque comme chef de projet internet.
La ville de Rennes m’a recruté en 2000 comme webmaster, et après 5-7 années d’aventures passionnantes (dont la Cantine Numérique de Rennes), je suis devenu chargé de mission aux « Technologies de l’Information et de la Communication » et on a pu faire encore plus d’expérimentations croisant expression des habitants, maquette 3d de ville, événementiels, urbanisme, opendata, réseaux sociaux et téléphone mobiles qui ont fait un peu de bruit dans les collectivités en France. En 2005 j’ai participé à mon premier ouvrage collectif de prospective (Territoires horizon 2030, avec Pierre Musso), ce qui a décoincé des blocages dans ma tête et m’a poussé à essayer plus de choses.
En 2010 John Lejeune, pionnier du matériel libre (open hardware) est venu à Rennes et m’a donné une carte arduino. Cela a marqué ma vie personnelle et professionnelle, notamment au travers la participation très active à la création du Labfab avec l’École des Beaux-Arts, Mines Telecom, Bug, la Région Bretagne, et toutes les bonnes volontés. On y a mis nos tripes. Entre 2011 et 2015, la ville et Rennes Métropole ont épaulé le projet du Labfab et j’ai eu la chance d’y passer professionnellement de plus en plus de temps, pour finalement avoir une mission officielle d’accompagnement du projet en 2015. C’est là que j’ai rencontré Nicolas Huchet et envisagé de partir dans une autre aventure en congés sans solde pour trois ans. 😀
De 2016 à 2019, tu as été Coordinateur pour l’association My Human Kit. Que t’as apporté cette expérience ?
Énormément. On a commencé avec 500 euros, et un objectif de rassembler plus d’un million pour trois ans, en versant tout ce qui serait prototypé dans le bien commun de l’humanité. Bien sûr, avec la gratuité pour les usagers de notre utopie : le Humanlab.
Le déclencheur fut Nicolas Huchet aka bionicohand, au travers son projet de main bionique arrivé au Labfab de Rennes. L’idée de faire un pilote de Fablab accessible aux personnes en situation de handicap, on l’avait déjà avant. Mais pas la volonté de Nicolas. Partir de zéro, sans local, sans salarié, y croire, et avoir la chance de développer le truc pour de vrai, puis de l’essaimer en France et en Inde et en Afrique, c’est vraiment très gratifiant.
La team de My Human Kit et sa communauté sont vraiment impressionnantes et en apprenance permanente. Cela m’a apporté beaucoup de rencontres, permis de vivre des émotions très fortes au terrain, et de voyager loin au travers des hackathons et événements de Rennes à Bruxelles en passant par Mumbai ou Saint-Pétersbourg.
À ce jour My Human kit compte 7 salarié et a une trésorerie solide. C’est un projet inspirant au niveau international, plus qu’actuel sur le rôle qu’on attend du numérique.
Cette expérience m’a aussi permis de regarder en face des questions personnelles lourdes, comme mon regard sur des membres de ma famille en situation de handicap. Et donc a changé ma vie pour longtemps !
Aussi bien à Rennes Ville et Métropole que dans mes projets personnels, communautaires ou associatifs, j’ai pu avoir des espaces d’essai-erreur avec des gens formidables. Je les remercie.
Depuis 2019 tu es administrateur pour le Réseau Français des Fablabs. Quel est ton rôle en tant qu’administrateur ?
Et bien ça permet de pousser certains sujets et enjeux dans une grande communauté : le groupe de travail Accessibilité/handicap qui compte une vingtaine de lieux et vole maintenant de ses propres ailes, les partenariats, les thèmes à traiter dans les rencontres nationales et internationales de réseaux (FAB14-16).
Ceci dit, la vraie expérience de fraternité et de mobilisation du réseau a été la crise du coronavirus de mars à juin 2020, et bien au-delà des seuls Fablabs. On a maintenant des correspondants régionaux, des super groupes de travail, les premiers financements pour l’association. Je suis référent sur le projet Makers Nord Sud et la question de la santé ouverte, et j’interviens sur les projets en lien avec l’Afrique francophone avec laquelle j’ai des liens forts depuis Innov Africa à Bamako en 2011. Il y a un enjeu très fort à croiser les communs, les objectifs de développement durable, et le Faire. Du handicap on élargit à la santé. De la santé on pourrait élargir encore à ce qui ferait santé pour le monde…
C’est un réseau incroyable dans sa diversité et son potentiel, tout comme dans l’inventivité des formes qui incarnent ses valeurs : apprendre, faire, partager.
Tu travailles actuellement sur le projet MAKERS NORD SUD pour lequel est prévu un atelier virtuel (Alliance Makers Scientifiques en Santé Ouverte) le 17 février prochain. Peux-tu nous en dire davantage sur ce projet et sur le contenu de cet atelier ?
Nous sommes un collectif rassemblé en mars 2020 pendant la mobilisation des Makers contre le covid. Dedans, les 27 Fablabs du Réseau des Fablabs Francophones d’Afrique de l’Ouest, les Fablabs français, des Bretons de Rennes (My Human kit, Indiens dans la Ville), des historiques de la solidarité avec le Réseau Bretagne Solidaire, mais aussi et surtout des acteurs ayant émergé pour partager des solutions de santé en coeur de crise.
On veut que des solutions de santé pour répondre à des besoins planétaires soient partagées sous des licences ouvertes, prototypées, validées cliniquement, refabriquées au sud et partout localement, redistribuer les cartes. Grâce à la Fondation de France, au pool de bénévoles, et à la ville de Rennes, on a deux découpe lasers qui viennent d’arriver au Bénin et au Sénégal, et on va équiper le Donifab de Bamako.
On vise l’équipement sur 7 pays de Fablabs fabriquant des solutions de santé au sud. Ensuite, il s’agit de faire émerger la variante africaine de la machine Precious Plastic pour carrément transformer des déchets plastiques en pièces de solutions de santé. Le 17 février 2021, on passe aux choses sérieuses avec les chercheurs en santé de l’Institut de Recherche et Développement qui travaillent avec les hôpitaux et ONG sur l’Afrique. On va croiser la recherche scientifique académique, les acteurs du soin, et de la fabrication distribuée. On identifiera des actions qui pourraient faire l’objet de soutiens financiers par le projet AFRICA ODD de la cité des sciences et de l’industrie en 2021. La santé est en effet un des objectifs de développement durable.
La team de makersnordsud.org est vraiment géniale, et la rencontre entre les acteurs historiques de la solidarité, les Makers et les chercheurs pleine de potentiels.
Tu viens de créer une nouvelle association, le Climate Change Lab. De quoi s’agit-il ?
Et bien si on ne peut pas stopper, mais juste freiner (et c’est crucial), le paquebot climat. On va avoir besoin de milliers de solutions pour s’adapter aux effets du changement climatique.
Soit on fait confiance à l’économie de marché actuelle pour adresser les seuls solvables (et ils ne sont pas forcément majoritaires sur la planète), soit on facilite la circulation de ce qui est mis en commun, et on instaure les mécaniques légales pour le re-fabriquer sur place dans une autre économie de la matière.
Il faut donc mobiliser les forces, de toutes les générations pour forger et partager des solutions, en les concernant par ce qui les touche : l’impact sur leur quotidien. Il s’agit d’en faire des ingénieux en réseau, avec une ingénierie des communs. Le Climate Change Lab, c’est une association libre de ses choix et actions qui veut aller faire des numéros zéros, formats pédagogiques, événements, prototypes, pour sortir des modèles d’avenir enfermés dans des exclusivités ou des frontières. Son angle particulier est de proposer une action focalisée sur les effets du changement climatique, d’envisager de régler autrement des problèmes foisonnants et concrets de manière coopérative et décentralisée. Makeme est un de nos soutiens et on en est fiers !
Que représente pour toi le mouvement des Makers ?
La libération des forces créatives, la ré-appropriation des savoirs et objets, le partage et le faire-ensemble. La preuve de concept qu’on peut partager en intelligence collective et re-fabriquer localement. Un nouveau nom sur des choses anciennes. L’espoir d’un internet neutre qui garantira que les recettes de fabrication et le code circulent à coup sûr. La réinterprétation des objets, espaces et ressources qu’on détourne par le hacking. Le surcyclage, le low tech et le frugal. Du lien. Une communauté qui n’a pas encore découvert son pouvoir dans le contexte actuel où on va avoir besoin de tout cela.
Parmi les nombreux projets sur lesquels Hugues a travaillé, voici 4 protos à découvrir :
2010 : le SMS wall avec le regretté et génial Jean-Marc Ferron aka @dweez et l’association Bug.
2012 : REMI (Robot Enabled for Mixted Interaction) – Fossa 2012 – Carrefour des Possibles.
2013 : La première Bionicohand avec Nicolas Huchet et Samy El Basri.
2015 : Le Chaphumeur : un chapeau robot connecté sur les ondes cérébrales qui rend visible l’invisible et fait revisiter les rapports humains (sélections officielles Wearable Exhibition Boston et Geek Picnic Festival St-Petersbourg).