Portrait de Maker #168 : Paul Vivien

Paul Vivien est un artiste explorant la convergence entre nouvelles technologies, durabilité et low-tech à travers performances et installations immersives. Diplômé de l’ENSAAMA en design graphique numérique, il se forge une approche expérimentale grâce à des pratiques autodidactes comme le mapping, le vjing ou l’impression 3D. Co-fondateur du label OYÉ, il s’engage dans des projets éco-responsables, dont le Visiophare, un projecteur open-source à faible consommation. Ses œuvres, telles que L’Harmonie de Notre Absence, mêlent matériaux de récupération, maquettes et performances live, proposant une réflexion sur l’impact des technologies et l’interconnexion avec la nature. Prochainement, il développe des installations immersives sans vidéoprojecteurs ni ordinateurs et prépare la tournée 2025 du OYÉ Circus.

Qui es-tu ?

Paul Vivien, artiste réalisant des performances et installations questionnant la place des nouvelles technologies dans notre monde.

Peux-tu nous parler de ton parcours artistique et des étapes clés qui ont mené à ta pratique actuelle ?

Je suis diplômé d’un BTS design graphique médias numériques obtenu à l’ENSAAMA Olivier de Serres en 2014. J’y ai appris une bonne base théorique mais je dois beaucoup à internet, aux forums et tutoriels qui m’ont guidé dans mes pratiques expérimentales : mapping, vjing, interactivité, lumière, etc…

Ces dernières ne plaisaient pas forcément à l’école car ils ne voyaient pas le rapport avec le milieu publicitaire auquel ils nous préparaient. Ce qui m’a vraiment lancé dans ma pratique c’est l’atelier lumière, un cours du soir gratuit animé par Dominique Doulain et Gauthier Haziza. J’ai pu être accompagné dans mes expériences, échanger et rencontrer des gens formidables avec qui je travaille encore aujourd’hui.

Nous avons fondé le label d’art visuel OYÉ peu après la fin des études, en 2015, pour structurer nos créations collectives et individuelles.

Comment les nouvelles technologies influencent-elles ton travail et quel rôle jouent-elles dans ton processus créatif, notamment à travers des matériaux ou des techniques de récupération ?

J’ai une fascination pour les possibilités offertes par les nouvelles technologies et ce qu’elles apportent à notre monde. Cependant, mon point de vue a évolué, passant d’admiratif à critique au fil des années. Ces technologies et matériels sont souvent rapidement obsolètes, polluants, et accessibles uniquement aux classes aisées. Aujourd’hui, j’essaie de les utiliser avec parcimonie dans mes projets tout en y intégrant une réflexion critique sur leur place dans nos vies.

L’emploi de matériaux naturels ou de récupération s’est d’abord imposé dans ma pratique pour des raisons économiques : en tant qu’étudiant, il était peu coûteux de récupérer des objets dans les recycleries, car je ne pouvais pas me permettre d’acheter du neuf. Cela s’est progressivement transformé en un engagement personnel, puis en un style artistique assumé. Assez tôt, j’aimais créer des sculptures mélangeant bambou et rubans LED. Le contraste entre ces deux matériaux racontait une nouvelle histoire au public.

Ma découverte de l’impression 3D il y a trois ans a donné un sens tout particulier à cette démarche. J’ai compris que cet outil permet de créer une connexion entre deux objets existants qui, a priori, n’étaient pas censés se lier.

Cela a facilité mon intégration de matériaux de récupération dans des projets technologiques. La découpe laser et la fraiseuse CNC sont ensuite venues compléter le panel d’outils, car elles permettent de sculpter directement des ressources récupérées pour les transformer. Ces outils sont parfois à l’origine d’une œuvre, mais il arrive aussi que ce soit l’inverse. Il est évident qu’apprendre à bien connaître ses outils, voire à les fabriquer, réparer ou améliorer, est un processus épanouissant qui enrichit ma pratique artistique.

Le mapping et la projection sont des sujets que tu explores dans ton travail. Peux-tu nous parler de Visiophare et nous en dire davantage sur ce projet qui allie technologie et durabilité ?

J’ai fait partie de la vague mapping au début des années 2010. Cette période initiale était marquée par une belle liberté d’expérimentation et de création d’expériences sensibles et originales. Le public, tout comme nous, découvrait des bâtiments de plus en plus grands illuminés de manière inédite, avec des effets visuels jamais vus auparavant. Malheureusement, cette dynamique a rapidement dérivé vers une récupération commerciale et une ultra-compétitivité, où seule la rentabilité semblait importer.

Préoccupés par l’absence de considération écologique dans le domaine du mapping, des amis designers et moi avons cherché à rendre cette pratique plus éco-responsable, en réaction à l’aberration énergétique que représentent ces projets.

Pour ce faire, nous avons combiné des techniques traditionnelles de projection (lanterne magique, rétroprojecteur) avec des technologies modernes (LED, mapping, fablabs). En prenant le meilleur de chaque méthode, nous avons mis au point un projecteur open-source : le Visiophare.

Il s’agit d’une structure modulable conçue pour intégrer des pièces détachées issues de vieux rétroprojecteurs ou de LED, permettant de créer des images de 10×10 m tout en ne consommant que 200 W. Cela offre un rendement dix fois supérieur à celui des vidéoprojecteurs numériques. Les plans et tutoriels sont disponibles sur le site visiophare.org, et nous avons fait en sorte que tout soit constructible à moindre coût, avec des outils simples ou dans des fablabs.

Aujourd’hui, nous animons des ateliers de fabrication de Visiophare, de création visuelle et de performances de mapping analogique. Le plus enthousiasmant dans tout cela, c’est qu’il est désormais possible de faire du mapping sans ordinateur, simplement à l’aide de calques et d’un stylo. Il suffit de décalquer les reliefs d’un support, puis de jouer avec en les coloriant.

Nous avons ainsi rendu la pratique du mapping dans l’espace public accessible à celles et ceux qui n’ont pas les moyens d’investir dans un ordinateur, un vidéoprojecteur, une licence de logiciel ou même un véhicule pour transporter tout ce matériel.

Certes, les projections obtenues présentent des animations moins complexes que celles des vidéoprojecteurs numériques. Mais cette démarche s’inscrit dans une forme de décroissance : ralentir le contenu du spectacle, le créer à la main, avec ce qu’on trouve. Ce type de contenu, souvent plus artisanal et tangible, touche davantage le public, qui peut plus facilement s’imaginer reproduire la démarche, car il en comprend le processus. De plus en plus de personnes s’y essayent, et c’est un plaisir d’avoir pu inspirer cet élan créatif !

L’Harmonie De Notre Absence est un projet marquant dans ton parcours. Comment est née cette idée et quel message cherches-tu à transmettre à travers cette œuvre ?

Dans la continuité de ma transition des nouvelles technologies vers les low-tech, j’ai voulu explorer comment reproduire la création visuelle des logiciels 3D, mais en utilisant des prises de vue réelles. J’imaginais des paysages fantastiques, de science-fiction, pour évoquer la beauté d’un monde post-humain. Je visualisais parfaitement comment les modéliser et les animer en 3D, dans une performance où je jouerais en direct avec des logiciels comme Unreal Engine, TouchDesigner, ou Resolume.

Cependant, je me suis rendu compte qu’un tel projet nécessiterait une année entière de création derrière un écran, pour aboutir à une performance également visible sur un écran. J’ai préféré revenir à des techniques traditionnelles, issues du cinéma : filmer des maquettes de paysages en y ajoutant des effets spéciaux de lumière, de fumée, etc. C’était super enrichissant et amusant à apprendre et à réaliser. De plus, cette approche engage davantage le public, qui peut me voir manipuler les maquettes sur scène tout en observant le rendu en direct à l’écran.

J’ai un peu triché en mettant à profit mes compétences en 3D et en impression 3D pour créer les parties les plus complexes des décors, afin d’obtenir un rendu très réaliste à petite échelle. Chaque maquette est un disque de 30 cm de diamètre, posé sur un vinyle 33 tours. Le son du spectacle provient des vinyles sous chaque maquette, grâce à une platine que j’ai inventée, capable de lire les disques par en dessous.

Les caméras sont montées sur des systèmes inspirés du design d’une imprimante 3D, ce qui me permet de piloter des mouvements de caméra précis en direct, comme des travellings ou des mises au point.

Dans ce projet, j’essaie de raconter la beauté d’un monde où l’espèce humaine aurait disparu, en imaginant comment la nature reprendrait ses droits. C’est une promenade contemplative en survol, mêlant paysages audiovisuels et live. Sans doute mon projet solo le plus ambitieux et engagé à ce jour, il m’a énormément apporté lors de sa création, et j’ai eu la joie de commencer à le présenter sur scène depuis octobre 2024.

Tu utilises souvent des installations immersives et des performances en direct. Pourquoi ces formats sont-ils importants dans ton travail, et en quoi permettent-ils de renforcer l’expérience du public ?

J’aime l’idée qu’un projet artistique transcende le public par les sens, que cela soit saisissant. Ce qui est joué en direct, performé, est impactant car cela n’existe que dans cet instant, c’est unique car cela dépend de l’artiste qui joue et du lieu de représentation. Les installations immersives déconnectent le public du monde réel, qui perd ses repères le temps de l’expérience.

Cela permet en tant qu’artiste de travailler sur un espace de A à Z, d’en contrôler les effets sur les sens avec assez peu de risques d’être perturbé par les éléments du réel. Personnellement j’adore ça emmener le public « dans » l’œuvre.

Quels sont tes projets à venir ? Y a-t-il des créations ou collaborations en préparation que tu aimerais partager ?

Toujours pour traduire ma pratique numérique en low-tech et être plus éco-responsable, je développe actuellement des expériences immersives à base de visiophares et de maquettes filmées. On imagine donc des créations pour dômes et salles immersives, qui ne demanderaient ni ordinateur ni vidéoprojecteur.

Avec mon label OYÉ, nous préparons la tournée 2025 du OYÉ Circus, notre scène audiovisuelle immersive, qui nous permet d’emmener nos shows sur des événements qui ne seraient pas équipés pour.

En préparation également : un manège de course d’auto-tamponneuses et une exposition interactive façon escape game, portant sur les frustrations liées à Internet.

Pour toi, quel rôle joue le mouvement Maker dans la création artistique d’aujourd’hui et comment penses-tu qu’il puisse influencer ton travail futur ?

Je pense que le mouvement Maker permet de se réapproprier les outils de l’industrie pour en faire des usages plus vertueux. S’émanciper de l’obsolescence programmée en réparant soi-même, partager ses trouvailles en open source à travers la communauté, échanger et s’entraider, quel que soit le niveau technique. Dans la création artistique, c’est parfois difficile de réaliser une œuvre qu’on a en tête sans passer par des fournisseurs qu’on ne peut pas se payer. Notamment pour faire un essai, changer d’avis, expérimenter. Avec les outils Maker et les fablabs, j’ai vraiment pu mettre dans le monde réel ce que j’avais virtuellement sous forme d’idée.

J’arrive de plus en plus à voir comment réaliser un projet complexe de A à Z grâce à toutes les ressources open source que l’on trouve. Ça donne le vertige et l’envie de créer plein de choses.

Jean-Marc Méléard
Nous serions ravis de connaître votre avis

Laisser un commentaire

Makeme
Logo
Register New Account
Shopping cart