Portrait de Maker #100 : Jean-Baptiste Le Clec’h & Jean-Marc Méléard Thomas

Déjà le 100ème portrait de Makers ! L’occasion de questionner les vieux complices de Makeme qui fête ce mois-ci ses 5 ans d’existence. Le rendez-vous est pris dans les locaux de Bug. Rétrospective généreuse sur les parcours de Jean-Baptiste et Jean-Marc, leur initiation à l’esprit maker et leurs actions au service de la culture du Faire. Un regard aussi aiguisé qu’amusé sur l’état et l’avenir du mouvement.

Faire ses gammes de makers

On ne naît pas maker, on le devient… Si l’on remonte en arrière, comment êtes-vous devenus makers ?

Makeme (Jean-Baptiste et Jean-Marc) : Alors nous, ce n’est pas trop durant l’enfance à proprement parler… Si tu veux, tous les enfants sont des makers. Ça, c’est une évidence. Tu donnes des ciseaux, de la colle et du carton à des enfants, ils s’éclatent pendant des heures. Et ça, on a beau être en 2022, ça n’a pas changé depuis la nuit des temps !

Nous, c’est arrivé plus tard. En fait, le numérique a bousculé énormément de choses. S’il y a un élément qui est toujours sensible aux changements technologiques, c’est la musique. Ça l’a toujours été. Beaucoup d’innovations technologiques sont parties de la musique ; et tous les deux, on est musicien à la base. Et dans les années 90-2000, on était en plein dans le moment où les MP3 déboulaient. On disait que le numérique allait détruire les industries de manière générale et que la première victime, ce serait l’industrie musicale. Effectivement, tu pouvais télécharger des MP3, tu n’avais plus besoin d’acheter les disques, on pouvait se les passer comme ça ; il y a eu une vraie révolution !

Ça a aussi été une force. Comme le schéma des maisons de disques était en train de péricliter, nous – comme plein d’autres groupes de notre génération -, on a appris à enregistrer nous-mêmes nos maquettes. Comment est-ce qu’on fait ? On va sur Internet !

Il fallait apprendre à utiliser les outils de communication, il fallait apprendre à faire un site Internet, il fallait apprendre à faire un logo, il fallait apprendre à enregistrer un album, à faire une pochette ! Ensuite, chercher des concerts, trouver des dates… Une fois que tu fais tes dates, en gros, tu es musicien, mais tu es aussi le régisseur, donc tu apprends à faire la technique, tu apprends à enregistrer, tu apprends à faire tout ça. Et tout ça, c’est le parcours d’un maker !

Le maker veut arriver quelque part, il veut avoir un produit final, mais il n’y a pas accès parce que c’est trop cher, parce que s’est trop compliqué… Du coup, il va trouver d’autres solutions. Et les solutions qu’il trouve, c’est notamment auprès d’une communauté qui est là pour l’aider et pour lui donner des tuyaux.

Par la suite, quand on a découvert le mouvement des makers, ça a été très simple. Ce qu’on était en train de nous expliquer, c’est qu’on pouvait fabriquer son imprimante 3D, son téléphone, sa télé… En gros, tout ce qui nous entoure ! On se disait que finalement, c’était ce qu’on faisait avec la musique ! C’est exactement ce qu’on a fait ! C’est-à-dire qu’on n’avait pas accès et on n’avait pas les moyens d’aller dans les grands studios, on n’avait pas les moyens d’aller voir les maisons de disques, parce que c’était… autre chose. Pas de souci, on va le faire nous-mêmes ! Donc le do-it-yourself, il est parti de là, en tant que musiciens. Et quand on a découvert le monde des makers, c’était pour nous une évidence.

Exploration en zone makers

Quel a été votre parcours ?

Jean-Marc : Moi, j’ai fait mes études dans la restauration et je me suis vite rendu compte que ce n’était pas ce que je voulais faire. Le diplôme en poche, il a fallu bosser… Puis j’ai tenté la fac en Histoire de l’Art et en Socio… Chaque expérience étant bonne à prendre, j’ai vécu un an à Montréal et eu de nombreuses vies professionnelles. Toutes ces briques mises bout à bout m’ont amené à faire ce que je fais aujourd’hui.

Jean-Baptiste : Et moi, j’ai fait électro-tech. Donc rien à voir, non plus… Enfin, si au final. Quand on regarde mon parcours, on peut avoir l’impression qu’il n’a pas de sens, mais si en fait. J’ai fait électro-tech pendant 4 ans, jusqu’au bac. Là, pour le coup, c’est très maker. Seulement, j’avais davantage d’amour pour les Arts et Lettres, donc après je suis parti en Histoire de l’Art, Lettres Modernes et Sciences de l’Éducation à la fac. Ce que j’ai appris en électro-tech m’a servi, mais bien après, en réalité. Ce n’est pas le côté industriel de l’électro-tech ou l’électronique en soi qui m’intéressent. L’électronique me sert plus comme un support d’éducation et d’apprentissage.

La naissance de la communauté Makeme

Et entre vos débuts et aujourd’hui, que s’est-il passé ?

Jean-Baptiste : Donc on était meilleurs amis, on faisait de la musique ensemble. Et moi, j’ai commencé à travailler dans le cadre de mes recherches sur l’organisation du premier événement maker, qui était Maker Faire. Donc j’ai fait Maker Faire St-Malo, et Maker Faire Paris. Je travaillais à l’époque pour le FabShop. Ils m’avaient embauché pour importer en France cet événement qui était américain. On a fait les deux événements et ça a cartonné. Et l’idée c’était ensuite de faire d’autres événements.

À ce moment, j’étais complètement sous l’eau, je me suis dit que je n’arriverais jamais à faire tous les événements tout seul, qu’il fallait que j’embauche quelqu’un. À l’époque j’avais un patron, je lui demande si je peux prendre quelqu’un avec moi. Il me dit : Oui, par contre, je te préviens, je n’ai pas plus qu’un SMIC à te donner… Bon, OK. Donc là, je me dis : il faut que j’embauche au SMIC quelqu’un qui va travailler très vite, comprendre très vite, et que je peux me permettre d’appeler à 22h si j’ai quelque chose à demander !. Et je ne connaissais absolument personne avec ce profil-là. Mais en fait si, je connaissais quelqu’un, Jean-Marc, avec qui je travaillais depuis des années, qui avait vraiment ce profil-là. Je savais comment il travaillait. Le seul truc que je ne savais pas, c’était : est-ce que j’étais capable de travailler avec mon copain ? Mais, en fait, oui, puisque ça faisait déjà 15 ans qu’on le faisait. Et donc là, je l’ai fait venir, d’abord pour un événement, puis deux. Ça a cartonné direct. Il était meilleur que moi. Et donc, du coup, on a continué. La boîte dans laquelle on était a coulé ; problèmes de gestion. Et après, nous, on a créé Makeme ensemble pour continuer à faire ce qu’on avait envie de faire.

Vous avez très vite opté pour l’autonomie…

Makeme (Jean-Baptiste et Jean-Marc) : Alors, nous, on n’était pas du tout prêt à créer une entreprise. Mais pas du tout ! On s’est retrouvé à monter notre entreprise, un peu dans le speed. Clairement. En regardant des tutos sur Internet. Mais on avait déjà prévu quasiment les événements d’après, en fait. En 2016, on s’est retrouvé tous les deux avec plein de boulot, mais sans structure. C’est là qu’on a créé Makeme. On pensait alors qu’on allait continuer de porter Maker Faire en France puisque nous avions créé cette marque et que nous avions une dizaine d’éditions par an qui connaissaient un gros succès. Mais nous nous sommes confrontés aux lois du marché et une multinationale a racheté la licence. On n’a toujours pas compris pourquoi (rire). Depuis nous organisons des événements sous le nom Makeme Fest ou en marque blanche comme Nantes Maker Campus ou Tech Inn’Vitré.

C’est une nouvelle histoire qui commence alors…

On a souvent plein d’idées, mais pas le temps ni les moyens de les réaliser. Ça, ça arrive beaucoup. Tu vois, par exemple, on a monté une boutique. L’idée, elle est bien, mais… Ça fait un an et demi qu’elle est en ligne, mais on n’a pas le temps de s’en occuper. On a monté un réseau social, pour les makers, c’est pareil, s’il n’y a personne derrière pour l’animer, ça ne marche pas. On est deux, trois avec Steven qui est avec nous pour un an, mais, ça ne change pas la donne, parce que les événements, il faut les blinder… L’année est bien remplie.

Vous vous répartissez les tâches entre vous ?

Jean-Baptiste : Jean-Marc, c’est vraiment lui qui s’occupe de la communauté et de la programmation des événements. Les portraits de makers, c’est lui qui les fait, ça fait partie de l’entretien de la communauté. Parce que nos événements, c’est une communauté. On les appelle pour venir sur nos événements, mais aussi toute l’année pour avoir d’autres infos, pour prendre des nouvelles d’eux, de leurs projets. C’est vraiment une communauté. Et après, moi, je vais m’occuper plus des aspects techniques de l’événement, des autorisations et de la gestion générale de l’entreprise.

On est bien occupé. Jusqu’en juillet, on a 6 événements. Ça va faire beaucoup de monde à aller chercher. Et puis, c’est important de renouveler à chaque fois la programmation. C’est important d’aller chercher des gens qui ont besoin du mouvement des makers, qui ont besoin de ça ! Qui sont vraiment isolés. Qui ont des super idées, mais qui ont besoin d’aide, qui ont besoin de rencontrer des gens.

Provoquer les rencontres créatives

C’est quoi organiser un événement pour vous ?

Makeme (Jean-Baptiste et Jean-Marc) : Un événement, c’est vraiment une rencontre entre des makers. C’est-à-dire que souvent, tu as un maker qui va venir, typiquement, un maker-designer, mais qui est une bille en électronique. Sur notre événement, il va rencontrer un électronicien, et puis ça va créer une boîte.

Par exemple, dans les premiers événements qu’on a accompagnés, on a vu la création de La Cool Co puis de l’agence de design sur Paris, le Le Club-Sandwich Studio. En fait, les personnes de l’équipe se sont rencontrées sur notre événement. Ils sont designers et c’est très certainement le meilleur électronicien de France ; ils se sont rencontrés, et depuis ils ont monté une boîte ensemble.

Ils font quoi ?

Ils ont commencé autour des serres connectées en développant une carte qui s’appelle la Cool Co. C’est une carte électronique que tu plantes dans l’herbe, et ça monitore toute ta plante. Est-ce que la plante a assez d’eau, assez de lumière, assez de chaleur ? Est-ce qu’elle a du phosphore, des nutriments… Et en fait, ils ont connu un beau succès, parce qu’ils ont eu un contrat avec le chocolatier Cémoi pour équiper tous les cacaotiers en Côte d’Ivoire. Depuis, ils sont sur un autre projet qui s’appelle le Club-Sandwich. Là, ils collaborent avec des marques. Ils créent des objets designs et interactifs pour développer leur communication. Ils ont aussi été très visibles avec le Covid, période pendant laquelle ils ont développé un respirateur artificiel.

Vous auriez un autre exemple ?

On en a plein, des gens qu’on a rencontrés, qui arrivaient avec un bout de bois, et aujourd’hui, ils sont partout dans le monde. Par exemple, Lunii, La boîte à histoire ! C’est un petit boîtier en plastique, avec plusieurs personnages, plusieurs histoires, plusieurs mondes. L’enfant, avec une petite manette, il choisit son personnage, le lieu où ça va se passer, avec qui, et ça lance l’histoire. On les a accueillis en 2015, leur boîtier était un prototype en bois. Aujourd’hui, ils sont partout dans le monde et c’est un véritable succès !

Il y a aussi Syos qui fabrique des becs de saxophone et de clarinette en 3D imprimé en 3D ! Pauline, nous l’avons rencontrée à l’époque où nous étions au FabShop. Elle travaillait sur son projet pour le développer. Lorsqu’elle fut prête, elle l’a présentée et depuis, elle ne cesse de ravir le son des saxophonistes du monde entier en créant des becs pour saxophone avec une esthétique sonore personnelle à chaque musicien.

Et d’autres makers encore…

Si vous deviez décrire les différents types d’exposants, on trouve qui ?

Makeme (Jean-Baptiste et Jean-Marc) : Les passionnés, par exemple, Michel, 60 ans, qui bricole depuis qu’il est gamin, qui a été toute sa vie… peut-être enseignant, banquier, ou autre, mais qui a continué à bricoler dans son garage et qui, depuis qu’il est à la retraite, a encore plus de temps pour le faire. Il a fabriqué une boite aux lettres connectée, il a fait l’arrosage de son jardin, il a fabriqué une voiture de dingue… On pense par exemple à Michel Robillard. Il était ébéniste, il a fabriqué une 2 CV tout en bois ! C’est depuis qu’il est à la retraite qu’il fait des projets un peu plus fous, qui ne sont pas des commandes de clients, mais des choses qui lui font plaisir à lui. La passion est souvent au cœur, réellement !

Et quel est l’intérêt pour lui d’aller sur un tel événement ?

Présenter son travail. Et quand on fait venir Michel sur nos événements, il vient avec toutes ses maquettes, sa voiture, et plein de choses qu’il fait. C’est un artisan qui n’a pas loin de 70 ans. Nous, on va le mettre à côté de petits jeunes qui viennent de démarrer dans le numérique, qui sont sur un mode start-up. Et en fait, ils ont plein de choses à se raconter. Comment tu crées une entreprise ? Quelles sont les choses à ne jamais oublier pour rester viable ? Et tu vas avoir Michel, 70 ans, qui va discuter avec des jeunes de 18 ans qui sont juste à côté de lui, tout le week-end. Et ils sont dans des domaines qui sont totalement différents. Mais Michel a réussi à vivre toute sa vie de son travail.

C’est assez rigolo sur les événements, parce que lorsque l’on met Michel avec sa voiture en face des projets un peu plus tech, les gamins vont directement aller voir la voiture ! Ils vont rester 2 minutes sur le stand sur lequel il faut bidouiller et ils vont directement aller voir la voiture. Même les plus jeunes, ça les fascine. Forcément, une voiture toute en bois ! En ce moment, Michel travaille sur la fabrication d’un camion tout en bois !

On trouve quel autre profil sur les événements ?

Dans nos événements, il y a aussi beaucoup de gens qui font ça vraiment pour la passion. Ils vont inventer ou créer des choses, mais derrière, il n’y a pas de but. Par exemple, Romain (Collier), qui est devenu un copain, et Ronan, son fils. Romain, il est buraliste à côté de Nantes et il est passionné de robotique depuis qu’il est gamin. Avec son fils, il fabrique des robots, complètement dingues ! Ils ont créé toute une famille, dont un R2-D2 et un Mignon. Ils ont aussi fait un exosquelette et travaillent actuellement sur un nouveau projet complètement dingue et qui devrait bientôt voir le jour… Et donc, c’est leur passion. Ils ont fabriqué tous ces robots ensemble. Son fils, il a grandi en construisant des robots avec papa et aujourd’hui, il est ingénieur en IA et il travaille en Slovénie. Et c’était juste par passion ! On revient un peu à la question de base : ‘Comment bien orienter les gens ?’ ; à quoi ça sert d’envoyer des gens dans des métiers bureautiques alors qu’ils ont besoin de faire de leurs mains et à l’inverse, à quoi ça sert d’envoyer des gens dans le manuel, s’ils n’en ont pas envie non plus ?

Et dans leur cas, leur volonté, c’est de présenter tout ce qu’ils font ?

Ce sont de grands gamins. Eux, ça les éclate de le faire, de le montrer aux gens, d’aller encore plus loin dans leur passion. Ils viennent aussi sur nos événements pour rencontrer d’autres Makers…

Donc il y a les passionnés, les chercheurs, les étudiants, ceux qui ont des projets comme Michel…

Il y a aussi les hobbyistes, tous ceux qui ont des hobbies. Tous ceux qui font du modélisme, que ce soient des avions, des bateaux, des maquettes, ce sont de vrais makers aussi, qu’on a beaucoup. Des passionnés de robotique et les artisans, aussi !

Si vous deviez redéfinir le terme maker aujourd’hui ? C’est quoi votre définition ?

La définition qu’on met nous, c’est : ‘Ingénieur, inventeur, artisan, informaticien, développeur, les makeurs et les makeuses sont tous différents, mais ils se retrouvent autour de la créativité, de l’innovation, et du partage’. En gros !

Donc pour être un peu caricatural, ce n’est pas la figure de l’ingénieur qui résout rationnellement des problèmes, il faut une part de créativité…

Il faut les deux. La créativité va te permettre de sortir un projet… Et justement, c’est là que le mouvement des makers peut être intéressant. On parle de l’ingénieur très rationnel, on en a besoin. Et à côté, on va prendre quelqu’un d’un peu plus fou, et ce sont les deux ensembles qui vont faire quelque chose d’intéressant. Mais à quel moment ils se rencontrent ces gens-là ? Tu vois, s’il n’y a pas d’évènementiel, s’il n’y a pas des grands-messes, justement, pour les réunir, c’est compliqué quoi.

Toujours sur cette idée de définition, si vous deviez préciser les nuances entre hackerspace, Living Lab, FabLab, Tiers lieux… Est-ce que les périmètres sont vraiment distincts ?

Alors, l’appellation FabLab, c’est une charte. Elle a été écrite au MIT par Neil Gershenfeld. Cette charte impose une liste de matériels, une liste de règles, ça dit que tout doit être Open Source. Tout doit être sourcé, documenté. Si tu veux adhérer à ces règles, tu peux t’appeler FabLab et tu as le droit de mettre le logo FabLab. Par contre, si tu ne veux pas adhérer à ces règles, normalement, tu n’as pas le droit de t’appeler FabLab. Il y a plein de FabLabs qui ne sont pas des FabLabs en réalité. Ce sont des Makerspaces. Les hackerspaces, ça va être plus pour des développeurs. Ce sont des gens qui se réunissent, mais ils n’ont pas forcément d’imprimante 3D. Ils vont avoir des supercalculateurs, des grosses centrales, des gros serveurs, des trucs comme ça tu vois… C’est moins dans le manuel.

Encourager l’interdisciplinarité

Jusque-là, tous les passionnés dont vous nous parlez n’avaient pas de lieu pour monter ce qu’ils faisaient ?

Makeme (Jean-Baptiste et Jean-Marc) : Ouais, non, il n’y avait pas d’événements. Enfin, non, le lieu où ils s’exprimaient, c’était sur Internet. C’est une formule qu’on utilise plus, mais au tout début, on avait l’habitude de dire que nos événements, c’était comme si tu rentrais dans Internet. C’était comme si tous les gens qui font des tutos sur Internet, des blogs, ou qui vont te donner des trucs et astuces, comme pour nous, pour apprendre à enregistrer un album avec Cubase, eh bien, là, tu les vois en vrai. Ils ne sont plus derrière leur écran, ils sont derrière une table, et tu peux leur parler, tu peux voir le projet ; le tuto qu’ils te font faire sur Youtube, là, tu peux le faire avec eux, par exemple. C’est un peu ça l’idée. C’est-à-dire que tu rentres vraiment chez ces gens que tu ne vois jamais.

Et qu’est-ce que ça apporte en plus de se voir en vrai ?

Il y a le besoin de se rencontrer. Et puis, il y a cette interdisciplinarité que l’on n’aurait pas autrement. Romain (Collier), qui s’exprime sur Internet, il va s’exprimer sur des forums dédiés à la robotique, en fait. Mais pas sur des forums dédiés à la couture. Alors que sur notre événement, à côté de lui, il a quelqu’un qui va faire de la couture. Et il va se dire : ‘Ben, tiens, en fait, ça peut-être intéressant d’utiliser du tissu pour faire mes robots ! C’est vrai que j’utilise toujours du métal ou des trucs un peu froids. Est-ce que je ne pourrais pas essayer de mettre un peu de couture, un peu de tissu ?’.

Ça crée de la connexion…

Complètement. Il y a cette idée de sortir des laboratoires et des ateliers des gens qui ne se croisent jamais. Et c’est dingue de voir à quel point ils ont plein de choses à se raconter, en vrai. Tu ne peux pas créer un robot qui tricote si tu n’as pas d’un côté un roboticien, et de l’autre quelqu’un qui sait tricoter. Il faut que les compétences soient réunies. Il faut que ces gens se rencontrent.

Faire sauter les barrières

Finalement, il y a une constante dans le milieu, il faut apprendre à aller chercher l’information et les partenaires…

Makeme (Jean-Baptiste et Jean-Marc) : Nous avons rencontré deux jeunes, les frères Cotto (portrait#98), ils ont 20 ans. Ils sont artistes et vivent à Rochefort-en-Terre. Ils ont monté leur atelier où ils travaillent le bois et le métal comme personne. Certaines de leurs créations sont monumentales et robotisées, c’est hyper impressionnant. La dernière en date, elle crache du feu ! Ça questionne. Comment tu vas chercher des compétences pour faire ça ? Ils apprennent tout et c’est hyper pro ! Quand ils ne savent pas faire, ils vont chercher des infos.

Rennes & Nantes, terres de Makers

Vous intervenez notamment sur Rennes et Nantes, est-ce qu’il y a un style ou un état d’esprit spécifique sur Rennes et Nantes ?

Notre histoire avec Nantes est directement liée à notre relation avec les Machines de l’ile. Lorsqu’on les a contactées la première fois il y a une dizaine d’années, c’était avant tout pour leur témoigner notre admiration pour leur travail et les inviter à rejoindre notre communauté de Makers. Très vite la relation est devenue amicale et nous avons imaginé ensemble un événement qui leur ressemble et c’est ainsi qu’est né Nantes Maker Campus. Une rencontre internationale entre notre communauté de Makers et leur communauté d’artistes constructeurs.

Nantes, c’est l’audace ! À Nantes, quand tu as un projet fou, on ne va pas te prendre pour un fou. On va regarder l’intérêt que ça peut avoir, et on va t’aider à le réaliser. On voit, par exemple, dans le projet des Machines de l’île qu’il y a un vrai engagement de la Ville de Nantes pour lancer et pérenniser le projet… Nantes Maker Campus est notre dernier événement de la saison et s’inscrit dans cette audace. On a plein d’événements qui vont être un peu plus sérieux ou un peu plus en ‘mode salon’. L’idée d’avoir Nantes Maker Campus début juillet, c’est une manière de renouveler le regard. On fait venir et se rencontrer les meilleurs makers qu’on à découvert dans l’année. C’est l’occasion de partir avec une bouffée de créativité, de folie. Quand tu as à côté de ton stand un éléphant de 12m et de 40 tonnes, tu te dis que rien n’est impossible !

Et Rennes ?

Rennes c’est chez nous ! Et au-delà du bonheur qu’on a à y vivre, c’est aussi un formidable terrain de jeux qui est en plein développement. La ville est réellement en train de se transformer et on commence à voir une dynamique similaire à celle de Nantes ou des projets alternatifs trouvent leur place. On pense notamment à la réhabilitation de l’Hotel Pasteur et l’Édulab, mais aussi aux quartiers naissants ou en transformation.

Côté Makers, Rennes a toujours soutenu et porte un regard bienveillant sur le mouvement. Grâce à des acteurs comme Bug, IDLV, MHK, des makers engagés comme Hugues Aubin, John Lejeune, Baptiste Gautier… et des  agents internes compétents comme Norbert Friand, Rennes a dépassé depuis longtemps l’image de bidouilleurs amateurs. Cependant, je pense qu’il est aujourd’hui nécessaire de rendre cet écosystème plus visible et plus actif dans les changements de société à venir. Ça va complètement dans le sens de la transformation actuelle et la volonté de s’inscrire dans la Fabcity.

On est surement un peu chauvin, mais Rennes, c’est la ville à suivre dans les prochaines années.

Qu’est-ce qui intéresse les institutions dans un projet de Lab ?

C’est justement le fait d’avoir un projet qui crée du lien entre différents acteurs qui sont aussi bien économiques que sociaux ou culturels. Si tu viens avec un projet de FabLab purement à visée sociale sans modèle économique devant une institution tu ne vas pas les intéresser. Elles ont besoin de projets qui rassemblent : quand tu es sur un projet de Lab,  il doit il y avoir aussi bien un développement économique que social, là, justement, tu vas avoir moins de freins. Si tu es très engagé sur un segment, ça va être plus compliqué pour rassembler et trouver des appuis…

Et si on prend du recul, est-ce qu’il y a une spécificité française dans l’approche maker ?

Quand Sherry Huss, la fondatrice de Maker Faire, est venue en France, elle qui observe des makers partout dans le monde, la particularité qu’elle trouvait en France, c’était le design. Elle disait : ‘Il n’y a que là que je vois des makers qui pensent le design dès le début de leur projet !’. Alors que d’habitude, les makers fabriquent un truc, et une fois que ça marche, ils se disent : ‘On va faire une boîte… Bon, ben, maintenant, on va voir comment…’ ; ‘On va faire un truc fonctionnel, et après on verra comment on fait’.

Alors que l’objectif, c’est de mettre les designers en amont du projet…

Elle trouvait que c’était particulier à la France, ça. Et c’est vrai que ça fonctionne bien. Et c’est vrai que c’est un constat qu’on a fait nous aussi, en nous déplaçant. Quand tu vas aux USA, tu t’en rends compte.

Mickey n’a qu’à bien se tenir…

Quand on vous écoute, l’innovation change de visage…

Makeme (Jean-Baptiste et Jean-Marc) : La véritable innovation aujourd’hui, c’est le low-tech. Faire mieux avec moins. Ça, c’est vraiment la grosse tendance du mouvement. Bérangère Amiot, par exemple, est très pertinente sur le thème du design frugal. L’un des exemples qu’elle prend, c’est : À quoi ça sert aujourd’hui en 2022 de créer un coupe-oignon électrique ?. Si tu mets 10 minutes à nettoyer ton épluche-oignon, qui aura consommé de l’électricité, qui a 40 pièces à l’intérieur, alors que ton oignon, tu peux l’éplucher en 5 minutes avec ton couteau, bon… Tu vois, elle réinterroge tout ça, en fait. À quel moment, l’innovation n’a plus de sens ? Est-ce que c’est encore de l’innovation ou est-ce que c’est du gadget ? Peut-on continuer à répandre des batteries au lithium dans tout nos objets ?

Rester en état de veille

Comment faites-vous pour rester à niveau sur la veille ?

Makeme (Jean-Baptiste et Jean-Marc) : La veille la plus pertinente qu’on puisse faire, c’est vraiment avec les makers. Comme on a vraiment créé une communauté, ce sont des gens avec lesquels on a une relation amicale, ce sont des gens avec lesquels on discute. Souvent, c’est sur nos événements qu’on apprend le plus de choses. À la paëlla, en fait ! Tu vas discuter : ‘tiens, tu as entendu parler de… Tu vois, typiquement, l’imprimante qu’on a achetée, on en a entendu parler parce que ce sont des makers qui nous en ont parlé en fait : ‘Tiens, il y a ce truc-là qui vient de sortir, elle est vraiment bien !’. En fait, nous, on est entouré de makers en permanence aussi.

Ensuite, la veille, on la fait aussi beaucoup ici avec Bug et les personnes qui gravitent autour, notamment Richard Delogu qui a toujours un regard pertinent sur l’évolution générale de nos usages numériques et toujours une bonne lecture à conseiller.

Les nouvelles ambitions de Makeme

Si vous deviez nous révéler trois projets pour Makeme pour ces prochains mois ou ces prochaines années ?

Makeme (Jean-Baptiste et Jean-Marc) : Nous, on a une ambition, c’est de continuer à booster Nantes. On aimerait vraiment que ce soit l’édition de référence. Là, en France, ça commence, mais on aimerait davantage qu’il y ait une connotation européenne, que ce soit vraiment connu en Europe. Donc ça, c’est vraiment la future ambition, de continuer à faire grandir Nantes Maker Campus.

Un deuxième projet à nous révéler ?

On aimerait créer un gros événement à Rennes. Ça, ce sera la prochaine ambition. Le prochain projet !

Différent de Nantes ?

Ouais, ce sera un événement de Makers dédié à la musique !

Un troisième projet peut-être ?

On a envie d’avoir un lieu d’accueil à Rennes pour aider les Makers à se professionnaliser, une sorte d’incubateur de Makers. On y travaille, mais c’est trop tôt pour en parler…

Maker-Fiers !

Vos plus grandes fiertés, depuis la naissance de Makeme, ce serait quoi ?

Makeme (Jean-Baptiste et Jean-Marc) : Déjà, d’être encore là aujourd’hui ! De fêter nos 5 ans ! Et puis, la fierté, c’est vraiment la communauté, qui est vraiment belle ! Là, tu vois, pendant le confinement, il y a plein de gens qui ne se sont pas vus. Donc, du coup pour nous, les premiers événements qu’on a refaits derrière, on a eu l’impression de faire venir une colonie de vacances ! C’est le truc dont nous sommes fiers, c’est vraiment d’avoir réussi à créer ce côté familial dans la communauté. Où tout le monde se connaît. Et où tout le monde est super content de se revoir à chaque événement. Il y a des gens qui viennent vraiment juste pour voir les copains ! Parfois, ils viennent avec un projet, mais ils ne sont – limite – pas sur leur stand ! Ils ne sont là que pour voir les copains. Et ça, c’est cool, c’est un truc assez dingue qu’on a réussi à faire.

C’est quoi votre périmètre d’action aujourd’hui ?

Depuis 2017, On est principalement sur la Bretagne, la Loire Atlantique et les Pays de la Loire… Ça nous arrive de faire 2-3 missions sur Paris, mais ce ne sont pas de gros événements. Ce sont de petites participations, des corners. Mais on reste un peu frustré de ne pas voir d’événement de qualité se tenir sur Paris, on y retournera peut-être un jour, mais pour l’instant on se concentre sur le grand ouest.

Et la famille Makeme, c’est quoi en chiffres ?

Makeme, c’est une famille ! C’est au moins 2 500 projets depuis le début !

Depuis le début de Makeme ?

Non, depuis le début de Maker Faire en France en 2012.

Et après, si on compte les différents makers, je pense qu’on n’est pas loin des 6000. C’est 6000 personnes accueillies différemment. Parce que autour d’un projet, tu as 3-4 personnes. Dans les 6 000, il y en a peut-être 1000 que l’on voit depuis 10 ans et 5000 qu’on n’a vu qu’une fois par exemple.

Et l’idée de faire des portraits, c’est venu d’où ?

On voulait mettre en avant et faire valoir le parcours, l’expérience, les compétences et la créativité des Makers au travers de leur vécu. Et puis on trouvait que c’était une manière d’animer la communauté. Et pour nous, là, c’est le 100ème portrait, mine de rien, en 5 ans ça commence à faire un beau catalogue…

Et ça fait quoi, d’être au 100ème portrait ?

Et ben, ça montre qu’il y en a eu 100, quand même ! Mine de rien, c’est le 100ème ! Et puis, les 100 personnes qui ont contribué, ce sont vraiment des gens qu’on a rencontrés, qu’on connaît. Tu as le cœur de la famille, là. On les connaît tous !

Et il y en aura plein d’autres encore !

Entretien réalisé par Fabrice Clochard, sociologue – Lisaa Rennes avec la participation de Sophie de La Bardonnie.

Jean-Marc Méléard
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