Portrait de Maker #191 : Thiébaut Ficht

Thiébaut Ficht est ingénieur de formation et Maker passionné par le réemploi, le DIY et l’innovation responsable. Après une carrière dans la conception de machines industrielles, il se tourne vers l’entrepreneuriat pour donner vie à ses idées mêlant écologie et ingénierie. Il crée Yogajust, un accessoire de yoga multifonction breveté, et AutoRecycLAB, un atelier mobile de recyclage plastique “par soi-même” avec des machines low-tech à pédales. Entre sensibilisation, conception et partage, il œuvre pour une innovation durable, accessible et humaine.

Qui es-tu ?

Je m’appelle Thiébaut Ficht. Je suis quelqu’un de passionné par la débrouille, le fait-main et le réemploi. J’aime apprendre, expérimenter, redonner vie aux objets, trouver des solutions créatives avec les moyens du bord et partager mes trouvailles.

Peux-tu nous raconter ton parcours et ce qui t’a amené à devenir entrepreneur et Maker ?

J’ai une formation d’ingénieur en mécanique de l’INSA de Rouen. Après une première expérience en tant qu’ingénieur calcul chez Renault, j’ai ensuite été chef de projets concepteur de machines spéciales d’emballage pour l’agroalimentaire et les cosmétiques pendant une dizaine d’années.

J’ai conçu des machines toutes différentes, tantôt pour assembler des flacons de parfum, emballer des yaourts ou des tranches de pâté…

Ce que j’aimais, c’était d’être acteur à chaque étape du projet : partir du cahier des charges établi avec le client, concevoir la machine en 3D, réaliser les plans des pièces, suivre les approvisionnements, le montage et le câblage, puis assurer les tests, la mise au point et enfin l’installation chez le client. C’est là que j’ai acquis les bases techniques et organisationnelles qui me servent aujourd’hui.

Suite au rachat de l’entreprise par un groupe, j’ai fait partie d’un plan de licenciement visant à ne conserver que l’activité de fabrication de machines standards (formeuses de boîtes en carton). J’y ai vu l’occasion de me reconvertir vers une activité plus proche de mes valeurs en mettant à profit les recherches que j’avais pu faire dans le cadre de la rénovation de ma maison.

Une formation d’un an m’a permis de mettre de l’ordre dans mes connaissances et de me mettre à niveau. Ensuite, j’ai pu faire des audits énergétiques pour le compte de l’ANAH et aider des foyers à ressources modestes à obtenir des financements pour leurs rénovations énergétiques.

Au bout de quatre ans, j’ai fait un ras-le-bol administratif et j’ai décidé de passer à autre chose sans trop savoir quoi. C’est là que j’ai eu des idées d’inventions à développer, avec l’envie de le faire en entrepreneuriat. Je connaissais le modèle de la CAE (Coopérative d’Activités et d’Emplois) qui m’attirait depuis plusieurs années sans avoir de projet viable. Cette fois-ci, j’en avais plusieurs, c’était l’occasion de tester ce modèle en lien avec l’ESS (Économie sociale et solidaire).

Pour ce qui est de l’aspect Maker, c’est en découvrant ce terme il y a quelques années avec les Maker Faire que j’ai appris que j’en étais un depuis un bout de temps. Quand j’étais plus petit, j’adorais bidouiller mes jouets ou en fabriquer… Et depuis, j’aime explorer de nouveaux sujets en mode DIY 🙂

Dès que j’ai un besoin ou un problème, je commence par réfléchir à comment le résoudre par moi-même avec le matériel, les outils et les compétences que j’ai, sinon je fais mes recherches. Je pense qu’on apprend toute sa vie, ce n’est pas parce qu’on a fini ses études qu’on arrête d’apprendre !

Comment ta formation d’ingénieur à l’INSA de Rouen a-t-elle influencé ton approche de la création et de l’innovation ?

Cette formation m’a surtout apporté des outils, une base scientifique et technique, ainsi qu’une méthode pour apprendre par moi-même. Ça me permet d’aborder de nouveaux domaines. Cette approche me pousse à voir la création sous un angle plutôt technique et fonctionnel que purement artistique. Pour les aspects esthétiques, je fais souvent appel à mon entourage 🙂 Côté innovation, c’est en croisant différentes disciplines et en mêlant mes centres d’intérêt que j’arrive à imaginer des choses nouvelles.

Peux-tu nous présenter Yogajust et ton invention d’accessoire d’ajustement postural multifonction ?

J’ai eu l’idée de Yogajust à l’occasion d’un bricolage avec une de mes filles, qui m’a suggéré d’appliquer le principe du couteau suisse aux accessoires de yoga.

Je fais du yoga depuis 2006 et je ne voyais au premier abord pas ce que je pouvais faire de cette idée.
J’ai alors recherché tous les accessoires utilisés en yoga et me suis aperçu qu’il y avait moyen d’en combiner plusieurs en un seul objet et que ça n’existait pas encore. J’ai commencé à dessiner en 3D mes idées et à faire les premiers prototypes.

Après avoir obtenu un résultat concluant, j’ai fait une étude de marché, décidé de déposer un brevet et de faire tester mon invention à des utilisateurs potentiels et à des professeurs de yoga. Je me suis ensuite rapproché d’un ébéniste pour lancer les premières fabrications et faire les premières ventes. Depuis, j’ai des demandes régulières de pratiquants de yoga, de professeurs de yoga ou pilates, et de kinés.

Quels défis as-tu rencontrés pour concevoir et fabriquer artisanalement tes produits, et comment as-tu réussi à les surmonter ?

Un gros défi sur Yogajust a été le dépôt du brevet. N’ayant pas les moyens de faire appel à une société spécialisée en propriété intellectuelle, j’ai décidé d’apprendre à le rédiger moi-même, avec un peu d’aide.

Il m’a fallu assimiler un nouveau langage technico-juridique et, après plusieurs visites à l’INPI, j’ai enfin pu déposer mon brevet !
Un autre défi a été de faire en sorte de pouvoir fabriquer facilement en petites séries un produit robuste et durable. Ça a été de l’amélioration continue sur les premiers mois de fabrication, en collaboration avec mon partenaire ébéniste, pour régler tous les détails.

Peux-tu nous présenter AutoRecycLAB, son concept de recyclage du plastique “par soi-même”, ainsi que les machines manuelles que tu as développées ou transformées pour ce projet ?

AutoRecycLAB est issu du mouvement Precious Plastic. Je suis tombé en 2018 sur les vidéos des machines développées par Precious Plastic et ça m’a inspiré. Ces machines électriques sont destinées à équiper des ateliers de recyclage de déchets plastiques, notamment dans les pays fortement touchés par la pollution plastique.

J’ai eu envie de pousser le concept plus loin en proposant des machines low-tech fonctionnant au maximum à l’énergie humaine, faciles à transporter (il fallait qu’elles rentrent dans ma Twingo ! 🙂 ) et sécurisées pour pouvoir faire des animations de sensibilisation tous publics : un broyeur à pédales et une presse à injecter manuelle. Et je voulais qu’elles soient elles-mêmes recyclées : j’ai donc utilisé un maximum de pièces et de matériaux que j’avais en stock dans mon atelier (environ 80 % de récup).

Mon idée était de sensibiliser au recyclage et à la réduction des déchets, mais aussi au faire soi-même. Depuis 2019, j’interviens un peu partout : en milieu scolaire, périscolaire, pour des associations, en entreprise et sur différents événements. Sur mes animations, je fais manipuler au maximum le participant en adaptant à son âge. Je fais découvrir à certains l’utilisation d’un tournevis ou d’un marteau ! Je propose de fabriquer soi-même, à partir de ses propres déchets plastiques et de sa propre énergie, des objets dont j’ai conçu les moules parmi la vingtaine que j’ai actuellement. Des objets utiles, ludiques ou décoratifs, pour toucher un peu tout le monde.

J’adore en développer de nouveaux, en passant par les phases de recherche de fonctions et de design, de conception et de prototypage — souvent en impression 3D —, pour finir par la fabrication du moule en fraisage CNC. Et ce que je préfère, ce sont les projets de conception d’objets que je mène avec des jeunes. Ça permet d’aller plus loin avec eux, puisqu’ils sont impliqués de la conception de l’objet jusqu’à sa fabrication en petite série avec un objectif (vente, tombola, etc.). On a ainsi pu créer un support de téléphone, un décapsuleur, un support de manette de jeu vidéo, un pion de jeu, une pancarte de potager…

Depuis trois ans, j’ai de la demande pour mes machines de la part de personnes, associations ou entreprises qui veulent aussi proposer des animations. J’ai donc commencé à en fabriquer en petites séries sur le même modèle que les miennes. Je suis rapidement passé à une nouvelle version de mes machines, toujours sur les mêmes principes et encore plus sécurisées, mais fabriquées à partir de matériel neuf et avec un nouveau design. Ça me prenait pas mal de temps d’adapter à chaque fois du matériel de récupération, notamment pour la partie vélo, et il fallait que je sois rentable. C’était aussi l’occasion d’améliorer l’esthétique.

La nouveauté 2025, c’est un broyeur à pédales pour les petits de 3 à 7 ans, qui étaient un peu frustrés de ne pas pouvoir pédaler à cause de la longueur de leurs jambes.

Parmi tes projets ou animations AutoRecycLAB, lequel t’a le plus marqué, techniquement, humainement ou pédagogiquement, et pourquoi ?

J’en citerai deux.

Le premier était un projet de construction de machines comme les miennes avec des élèves de 5ᵉ que j’ai accompagnés. C’était fédérateur, tout le monde était motivé et fier du résultat. On avait recyclé un vieux vélo fourni par la prof de SVT 🙂 Et depuis, ils utilisent leurs machines pour recycler les déchets plastiques qu’ils trouvent dans la nature avec leur prof de sport.

Le deuxième, c’est un projet intergénérationnel. Avec leurs animateurs, les jeunes d’un espace jeunes ont conçu deux objets utiles pour les résidents de l’EHPAD de leur commune (un rond de serviette et un petit chevalet pour afficher leur prénom à table).
J’ai ensuite fabriqué les moules, et nous sommes allés avec les jeunes à l’EHPAD pour produire ces objets ensemble, sur place, avec les résidents.

C’est typiquement le genre de projet qui donne tout son sens à ce que je fais : créer du lien, transmettre, et donner une seconde vie aux matériaux tout en rassemblant les gens.

Quels sont aujourd’hui tes projets et objectifs pour Yogajust et AutoRecycLAB ?

Pour la suite, je souhaite continuer à améliorer mes créations, en développer de nouvelles et nouer de nouveaux partenariats pour donner plus de portée à Yogajust et AutoRecycLAB. Les idées ne manquent pas, c’est plutôt le temps qui fait défaut ! L’objectif, c’est de prioriser les projets qui ont le plus de sens et qui me permettent de maintenir une activité pérenne, sans me disperser et sans perdre le plaisir de créer.

Qu’est-ce qui te passionne le plus dans ton rôle de maker et d’entrepreneur ?

Avec ce mode de fonctionnement, j’ai la chance de faire chaque jour ce que j’aime, je n’ai pas l’impression de travailler ! Cette liberté me permet d’explorer et de tester de nouvelles techniques, d’évoluer dans des environnements variés et de faire des rencontres inspirantes. C’est cette diversité qui nourrit ma créativité et me motive.

Quels conseils aimerais-tu donner à celles et ceux qui souhaitent se lancer dans des projets innovants, responsables et durables ?

Mon principal conseil serait de ne pas trop hésiter et de passer rapidement à l’action, même si tout n’est pas encore parfait. On a souvent tendance à trop réfléchir et à vouloir que tout soit prêt avant de se lancer. Mais dans nos têtes, les idées semblent toujours parfaitement ficelées, alors que la réalité est souvent différente.

Se confronter tôt aux défis du terrain, même avec un projet imparfait, permet d’obtenir des retours précieux, d’apprendre plus vite et d’ajuster le projet de manière plus efficace. Et surtout, il faut être persévérant !

Les projets innovants prennent du temps à se construire et nécessitent de la pédagogie pour se faire connaître et reconnaître.


Jean-Marc Méléard
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