Philippe Ollivier est bandonéoniste, compositeur et spécialiste du son et de l’image. Depuis 2002, il développe avec Christophe Baratay le logiciel Logelloop, un outil multicanal de création, transformation et spatialisation sonore. Conçu pour les musiciens et professionnels exigeants, Logelloop permet de composer, jouer et spatialiser des boucles en temps réel, avec un langage de scripts pour automatiser les séquences et un système modulaire innovant. Inspiré par la musique bretonne et les pratiques traditionnelles, Philippe vise à rendre la musique électroacoustique intuitive et immersive, dans la performance live, la création audiovisuelle et la muséographie.
Qui es-tu ?
Je m’appelle Philippe Ollivier. Bandonéoniste, compositeur, preneur de son et d’images, je développe depuis 2002, avec Christophe Baratay, le logiciel Logelloop.
Peux-tu nous expliquer ce qu’est Logelloop et comment il se distingue des autres outils de transformation électroacoustique et de spatialisation sonore ?
Au départ, Logelloop était un looper multicanal destiné à des musiciens exigeants qui souhaitaient utiliser un outil permettant de composer et jouer une musique complexe en utilisant des loopers. Dès l’origine, le looper était multicanal et cela permettait d’intervenir sur les modes de lecture, les timbres, et d’appliquer des effets indépendamment sur chaque piste. Mais surtout, cela donnait la possibilité de spatialiser les boucles. Logelloop a très rapidement été doté d’un spatialiseur qui s’est grandement amélioré avec le temps et est aujourd’hui un outil très puissant que l’on appelle acousmonium et qui permet de spatialiser le son sur un ensemble allant jusqu’à 48 haut-parleurs.
Logelloop comporte également un langage de script interne que nous avons développé pour que les utilisateurs puissent créer leurs propres fonctions sous la forme de macros et piloter le logiciel avec un minimum d’intervention. Ce système apporte tout un ensemble de fonctionnalités mis à profit pour programmer le déroulement d’un spectacle, par exemple.
Et puis, plus récemment, nous avons mis l’accent sur la création sonore en temps réel. Cela signifie que nous avons ajouté une panoplie d’effets qui autorisent le traitement électroacoustique du son en s’affranchissant autant que possible du temps de calcul nécessaire à certains traitements numériques du son et, lorsque cela est nécessaire, nous avons recours à une compensation de latence.
Quel a été le processus de développement de Logelloop et en quoi la Bretagne a-t-elle influencé sa conception ?
Nous travaillons à trois développeurs. Christophe Baratay, ingénieur informatique vivant à Saint-Jacques-de-la-Lande, m’accompagne depuis le début et a fait un travail très important sur la partie enregistrement, lecture et synchronisation du son. C’est aussi lui qui a créé le langage de script et conçu le système de préférences qui permet aux utilisateurs de configurer chaque projet sur mesure. Théophile Rousic Plantec, qui vit à Brest, développe depuis 2020 l’interface utilisateur. C’est aussi lui qui a développé le nouveau spatialiseur. Théophile est ingénieur du son et, comme moi, il a l’habitude d’utiliser des logiciels pour travailler le son en studio ou en salle ; il est très à l’écoute des besoins des utilisateurs finaux.
Pour ma part, en tant que musicien, compositeur et spécialiste du son et de l’immersion sonore dans le spectacle, je m’occupe depuis le début de la conception générale de l’outil. Je crée les fonctions musicales ou j’en établis le cahier des charges avec mes co-développeurs. Je suis très à l’écoute des retours des utilisateurs avec qui je suis parfois en lien direct sur le forum, dans le cadre de formations ou même sur le terrain puisque certains d’entre eux font appel à moi pour du conseil lors de leurs créations de spectacles. Ces retours sont précieux et influencent les choix que nous pouvons faire en ce qui concerne le développement de nouvelles fonctionnalités.
Nous sommes tous les trois des musiciens habitués aux musiques traditionnelles, qui en Bretagne sont beaucoup pratiquées. Cela a pour effet de nous ouvrir à une approche particulière de la musique électronique. Logelloop permet, par exemple, de construire des séquences dans des carrures qui peuvent être asymétriques (5/4, 7/8, 9/8, 13/8, etc.) et de faire cohabiter des modules avec des tempos et carrures différentes. On peut aussi travailler avec des tempéraments inégaux, comme cela se fait en musique bretonne.
Logelloop est également conçu de telle sorte qu’il est facile de le pratiquer tout en jouant d’un instrument de musique ; cela n’est pas forcément pris en compte par tous les logiciels de musique et le fait de développer en Bretagne à l’attention des musiciens implique cela, je crois.
En quoi ce logiciel peut-il modifier la manière dont les artistes et les professionnels de la musique travaillent avec les sons en temps réel ?
Dans beaucoup de cas, les compositeurs et musiciens qui veulent travailler la musique électroacoustique en temps réel tout en jouant d’un instrument ont recours à des assistants que l’on appelle RIM (réalisateur d’informatique musicale). Le RIM est là pour concevoir des programmes informatiques sur mesure pour répondre aux besoins de la création, c’est une fonction qui est née en France, à l’Ircam.
Lorsque nous créons les fonctions de Logelloop, nous voulons faciliter l’approche de la musique électroacoustique en temps réel et donner au musicien la possibilité d’être en lien direct avec les algorithmes. Autant que possible, j’essaie de faire un ratio cohérent entre la profusion de possibilités et la simplicité des interfaces. Pour autant, Logelloop peut sembler complexe au premier abord du fait de cette profusion justement, mais cela permet d’avoir accès à des possibilités rares dans les logiciels que l’on utilise communément.
Logelloop est modulaire et l’une de ses particularités est que les modules sont interconnectables. Cela autorise toutes sortes de conversions et permet de gagner en souplesse. Ces jours-ci, nous sortons une nouvelle version qui apporte le Mapping, un système permettant de connecter en un clic un module à un autre. Dans les mois qui viennent, de nouvelles livraisons apporteront bon nombre de nouveaux modules utilisant ce concept de mapping.
Quelles sont les applications possibles de Logelloop dans des domaines autres que la création musicale, par exemple dans la performance en direct ou la production audiovisuelle ?
C’est vraiment un outil spécialisé dans le travail du sonore qui permet aux musiciens et ingénieurs du son de créer des espaces sonores immersifs en n’utilisant qu’un seul outil pour la création et la spatialisation… Mais de fait, il peut aussi être utilisé pour la muséographie, parce que le moteur de scripts permet d’automatiser des séquences complexes et peut, par exemple, aider à sonoriser plusieurs salles d’un même bâtiment.
Il y a aussi un domaine où il peut s’avérer très pratique : le sound design et tout ce qui est création sonore pour l’image animée. Logelloop devient alors une boîte à outils complémentaire à laquelle a recours le créateur pour fabriquer des sons modifiables tout en les écoutant et donc en pouvant immédiatement les confronter aux images animées.
Quels retours avez-vous reçus des utilisateurs de Logelloop et comment voyez-vous l’évolution future de cet outil dans l’univers de l’électroacoustique et de la spatialisation sonore ?
Très souvent, les gens nous disent que l’on a pensé à tout et que ça se voit que Logelloop a été conçu par une personne qui l’utilise au quotidien. Et cela me fait plaisir !
Pour les développements futurs, nous mettons l’accent sur la facilité d’utilisation et allons faire le maximum pour encore simplifier la courbe d’apprentissage. Je souhaite aussi que l’artiste obtienne le son qui lui convient le plus rapidement possible. Pour cela, nous mettons en place des fonctionnalités intuitives comme la fonction de mapping dont je parlais tout à l’heure.
Nous disposons de peu de moyens pour la partie marketing et pourtant j’ai l’ambition de mieux communiquer sur l’existence de Logelloop afin de le faire connaître à davantage d’utilisateurs potentiels.
