
Marylou est artiste sonore et électronique, passionnée par les circuits analogiques, le circuit bending et les écosystèmes sonores. Autodidacte, elle a appris l’électronique grâce aux communautés makers et partage aujourd’hui ses savoirs via des fanzines. Sa démarche mêle poésie et hack, explorant les liens sensibles entre technologies obsolètes et biodiversité menacée. Elle vient de créer Maison, une installation immersive autour des chants d’oiseaux d’Essonne, traduits en circuits interactifs. Marylou s’inspire du vivant, qu’elle évoque comme une mémoire fragile à préserver, et milite pour une électronique accessible à tou·tes.
Qui es-tu ?
Je m’appelle Marylou, je suis artiste sonore, électronique, et aussi un peu hackeuse.
Peux-tu nous raconter ton parcours et ce qui t’a menée vers l’art sonore et électronique ?
J’ai une formation en design, mais je n’ai jamais vraiment été designer, ahah. J’ai appris l’électronique en autodidacte, grâce à Internet et aux communautés de makers et bidouilleur·euses sur les forums. Quant à l’art sonore, c’est par ma pratique musicale qu’il est devenu peu à peu mon principal médium de recherche.
Comment définirais-tu ta pratique de hackeuse dans ton travail artistique ?
C’est surtout dans le travail des circuits électroniques : j’adore le circuit bending, manipuler les circuits, les détourner pour leur donner de nouvelles fonctions. Il y a une joie à faire sortir des sons inattendus d’objets obsolètes.
Quel lien établis-tu entre technologie et disparition de la biodiversité ?
C’est un lien très paradoxal. J’interroge la perte de la biodiversité et la richesse sensorielle du vivant… tout en reconstituant artificiellement une nature en train de disparaître, qu’on ne pourra peut-être plus jamais réellement percevoir. Je trace aussi des parallèles entre les réseaux biologiques et électroniques : tout est interconnecté, fragile, sensible.
Mais il n’y a rien de techno-solutionniste dans ma démarche : la nature est irremplaçable. Mes circuits explorent plutôt la mélancolie face à la disparition du vivant, comme une tentative de mémoire, mais avec des limites, des glitchs.
Comment cherches-tu à éveiller les sens et l’émotion dans tes installations ?
Mes installations sont toujours interactives : il y a des boutons à presser, des capteurs à découvrir, tout est réactif, vivant au contact du public. J’aime aussi jouer avec l’immersion dans le noir et les jeux de lumière — j’ADORE les LED. Ça crée un environnement enveloppant très sensible.
Quels outils ou techniques utilises-tu le plus dans tes créations ?
Pour mes circuits, je travaille aujourd’hui à 100 % en analogique. J’utilise principalement des transistors, résistances, petits haut-parleurs, relais, condensateurs… bref, les composants de base. Je réutilise souvent mes propres composants pour limiter les achats de matériel neuf. Mais j’aime aussi travailler avec des microcontrôleurs : j’utilise régulièrement Arduino, et parfois Bela pour coder avec Pure Data. Et comme je dessine beaucoup, mes circuits prennent forme à l’atelier grâce à ma graveuse/découpeuse laser.
Comment se déroule concrètement ton processus de fabrication, de l’idée à l’installation ?
Ça dépend beaucoup, mais mes installations s’inscrivent dans une recherche continue autour des territoires sonores des oiseaux et des écosystèmes électriques. Je lis énormément à ce sujet (Donna Haraway, Vinciane Despret…), j’enregistre les chants d’oiseaux sur le terrain avec des ornithologues — notamment dans les marais de Misery, en Essonne.
J’analyse leurs fréquences, leurs rythmes, leurs motifs, puis je les réinterprète à partir de circuits déjà conçus, ou en adaptant des schémas open source. Je garde une grande liberté de création. Ensuite, je dessine l’installation finale en m’inspirant de mondes imaginaires, d’ambiances douces, de musiques réconfortantes.
Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?
Je viens de terminer Maison, une installation immersive autour du chant des oiseaux communs de l’Essonne. Elle explore la manière dont les oiseaux habitent le monde par leurs chants, et combien il est vital pour eux d’exister et de se rencontrer dans cet espace acoustique fragile. À partir d’enregistrements réalisés dans les marais de Misery, j’ai reproduit les chants de plusieurs espèces — phragmites, mésanges, grimpereaux, cisticoles — en les traduisant en circuits électroniques.
Oscillateurs, séquenceurs, filtres : chaque circuit est soudé à la main et manipulable par le public grâce à des boutons et potentiomètres. J’ai choisi des technologies simples, obsolètes mais réparables, pour refléter la fragilité des paysages sonores que je cherche à préserver. Comme les chants d’oiseaux en déclin, ces technologies portent en elles une mémoire : celle d’un monde en mutation, où réparer devient un acte de résistance.
Maison fait le parallèle entre les écosystèmes naturels et les systèmes électroniques, leurs logiques communes, leur sensibilité. Elle évoque aussi un paradoxe : utiliser des outils technologiques — souvent responsables de l’effacement du vivant — comme vecteurs de régénération ou de mémoire. C’est une maison d’oiseaux artificiels, presque disparus, qui nous invite à bâtir des refuges sensibles dans un monde qui s’effondre. Et elle est adaptable : je travaille avec la LPO pour faire évoluer les compositions selon les espèces locales.
Quelle place occupent les communautés makers dans ta démarche ?
Elles sont centrales ! Dès que je bloque sur un code ou un circuit, je me tourne vers les forums, les wikis, les vidéos. C’est comme ça que j’ai tout appris, mais je n’étais pas seule. J’ai appris grâce à des personnes qui ont pris le temps de partager leurs savoirs. C’est précieux, et c’est pourquoi je fais des fanzines en libre accès à mon tour, pour transmettre ce qui m’a été transmis.