
Lise Le Joliff puise son inspiration dans la nature sauvage entre terre et mer. Formée en architecture d’intérieur et en arts plastiques, elle mêle sciences, art et contemplation pour explorer les phénomènes naturels invisibles. Son travail, à la croisée du dessin et des matériaux organiques, révèle l’invisible par l’expérimentation et la transformation. Artiste engagée, elle s’inscrit dans l’esprit Maker et DIY, valorisant le faire et l’erreur. Actuellement, Lise propose une expérience poétique autour des arbres avec Fibois et les Parcs et Jardins de Nantes, où chacun est invité à redécouvrir la forêt et à contribuer à une œuvre collective.
Qui es-tu ?
Je m’appelle Lise Le Joliff, née en 1988 ; j’ai grandi à Paimpol, là où la mer se mêle aux brumes de l’archipel de Bréhat. Enracinée dès l’enfance dans une nature sauvage et changeante, j’ai développé une sensibilité profonde pour les forêts et les îles sauvages. Cette proximité avec l’environnement naturel a nourri un lien intime avec la beauté du vivant, l’océan et ses mystères.
Ma famille maternelle m’a transmis un amour fort pour les plantes et les arts. Ma mère, en particulier, m’a initiée à la création sous toutes ses formes : peinture, décoration, artisanat… Mon père, quant à lui, m’a ouvert les portes de l’univers maritime, notamment à travers la restauration d’un ancien thonier. Ces paysages mouvants ont profondément ancré en moi une relation intuitive à la nature. Entre terre et mer, j’ai appris à observer le monde autrement. C’est ce regard, à la fois poétique, curieux et profondément ancré dans le vivant, qui continue aujourd’hui d’alimenter ma pratique artistique.
Quel est ton parcours, et comment as-tu commencé à mêler sciences, art et contemplation ?
Mon parcours a débuté par un bac littéraire, suivi d’un diplôme d’architecte d’intérieur, puis d’un Diplôme National Supérieur d’Expressions Plastiques. L’art a toujours été là, mais ma curiosité m’a conduite à explorer d’autres horizons : le vivant, les plantes, les phénomènes naturels. Si je n’avais pas intégré les Beaux-Arts, j’aurais sans doute choisi une voie plus directement liée au végétal. En réalité, les deux se sont rejoints naturellement. Plus je me suis immergée dans la nature, plus la science s’est imposée comme un outil de compréhension, et la contemplation comme un mode de relation. Ce sont aujourd’hui les piliers silencieux de ma pratique.
Pourquoi l’expérimentation et la transformation sont-elles importantes dans ton travail ?
L’expérimentation et la transformation sont pour moi des moyens de m’aventurer hors des sentiers battus, un peu comme un explorateur qui ne sait pas exactement où il va, mais qui est fasciné par chaque étape du parcours. L’expérimentation est une manière de se perdre pour mieux se retrouver. C’est un chemin sans carte, un processus vivant ! Bien que je n’aie pas un parcours scientifique formel, la recherche sur le vivant a toujours été pour moi un terrain d’émerveillement. D’autant plus lorsque même les sciences n’ont pu lever le mystère sur des phénomènes. Mon travail ne cherche pas à expliquer, mais plutôt à révéler s’il le peut. Il s’apparente à une quête alchimique, où chaque transformation ouvre de nouvelles questions.
Comment choisis-tu les phénomènes naturels que tu explores ? Ton imaginaire a-t-il une place dans ce choix ?
Il y a des phénomènes qui me touchent profondément, parce qu’ils suscitent en moi une forme de résonance avec la nature, un sentiment océanique. C’est davantage eux qui viennent à moi que l’inverse. Le vent, le langage des plantes, l’inframince, ou les phénomènes invisibles qui tissent la vie autour de nous me fascinent. Il y a quelque chose de mystérieux, de presque magique dans ces phénomènes ou mécanismes silencieux que la science commence à peine à effleurer. Mon imaginaire tente de ressentir le monde au-delà de ce que l’on voit. Mon approche serait presque animiste : une tentative de faire exister les mondes invisibles qui nous entourent, d’entendre ce que nos sens rationnels ont oublié ou que notre regard déshumanisé ne perçoit plus.
Qu’as-tu envie de transmettre en croisant science et imaginaire ?
Mon grand rêve serait de « mettre le monde au monde », comme le disait Alighiero Boetti, et de faire en sorte que l’humanité cesse de détruire ce qui lui permet d’exister, de redonner une place au vivant, en dehors des logiques de domination. Si je devais résumer ce que j’aimerais transmettre, ce serait une invitation à réévaluer notre rapport à la nature, à la redécouvrir non seulement avec nos yeux, mais aussi avec notre cœur, nos sens et notre imagination. Si mon travail pouvait contribuer à faire naître un peu d’étonnement, de questionnement, ce serait déjà beaucoup. Je rêverais de créer un lien, un dialogue, entre la science et l’imaginaire, pour montrer que ces deux sphères ne sont pas opposées, mais qu’elles peuvent se nourrir mutuellement.
C’est une manière de redonner au monde vivant sa place, de le regarder autrement, de questionner ce que l’on croit connaître, et de laisser place à l’émerveillement.
Comment représentes-tu ce que la science ne peut pas encore expliquer ?
Dans mes travaux, je m’efforce de rendre visible l’invisible, de traduire ce qui échappe. J’aime créer des formes hybrides, des métaphores visuelles. Lorsque la science ne sait pas encore, l’imagination peut offrir des images sensibles, des intuitions. Mon travail n’apporte pas de réponse, mais propose une expérience, une interprétation. C’est une manière de matérialiser l’invisible, de donner corps à ce qui échappe à notre compréhension. Comme une tentative d’éclairer l’ombre sans la dissiper.
Quels sont les matériaux ou techniques que tu utilises le plus souvent ?
Le dessin est sans doute le fil conducteur de mon travail, c’est un outil essentiel pour poser mes idées, pour capter ce que je ressens de la nature et de ses phénomènes. Mais au-delà du papier, je me laisse porter par la diversité des matériaux. Quand il s’agit d’installations, j’utilise souvent des éléments organiques comme les plantes, du sel, de la terre, le polyacrylamide de sodium, et bien d’autres matériaux (certains que je ne connais pas encore !). Je les aime pour leur capacité à évoluer, à réagir, à vivre. Ils me permettent de transformer, d’expérimenter et de donner de la texture à mes créations. C’est un peu comme si chaque matériau avait une histoire à raconter, et mon travail consiste à les écouter, à les assembler pour créer une nouvelle forme, une nouvelle relation avec la nature.
Te reconnais-tu dans l’esprit Maker ou DIY ? Si oui, en quoi ?
Absolument, je me reconnais totalement dans l’esprit Maker et DIY. Il s’agit avant tout de faire soi-même, de réinventer, de réparer, de recréer ce que l’on voit autour de nous. Ce n’est pas seulement une démarche technique, c’est aussi un état d’esprit : une manière d’explorer le monde, d’apprendre par l’expérience, d’accepter l’incertitude et l’erreur comme partie intégrante du processus créatif. C’est un terrain d’expérimentation où chaque projet devient une aventure, une recherche de solutions uniques, souvent en dehors des sentiers battus. C’est une manière libre et joyeuse d’être au monde. Le DIY, c’est aussi un lien avec mes racines, avec l’apprentissage par la main, par le faire.
La poésie, la littérature ou la philosophie nourrissent-elles ton travail ?
Oui, énormément. La poésie, la littérature et la philosophie sont des sources infinies d’inspiration pour mon travail. La poésie, en particulier, nourrit ma sensibilité à l’invisible, à ce qui échappe aux mots mais qui existe néanmoins dans les silences. Les écrivains et philosophes qui s’intéressent aux rapports entre l’homme et la nature, aux mystères de l’existence, nourrissent ma réflexion. Ces influences me poussent à explorer les frontières entre l’imaginaire et le réel, à questionner la place de l’homme dans le monde vivant, et à trouver des façons de rendre poétiques des phénomènes parfois invisibles ou incompréhensibles. La lecture restera toujours une source continue d’inspiration et de mise en mouvement.
Sur quoi travailles-tu en ce moment ? Et que pourra-t-on découvrir au Nantes Maker Campus ?
En ce moment, je cultive une proposition née d’un partenariat avec Fibois et les élagueurs des Parcs et Jardins de Nantes, autour d’un thème qui nous est cher : les arbres.
À travers une médiation sensible et ludique, nous inviterons les visiteurs à redécouvrir la forêt, à écouter ce que les essences ont à murmurer. Nous dévoilerons des tranches de vie, tirées du cœur du bois, des rondelles d’arbres comme autant de récits à lire dans les cernes, à ressentir du bout des doigts. Et pour prolonger l’aventure, chacun pourra laisser sa trace : une feuille d’arbre à personnaliser, puis à accrocher sur une œuvre collective, qui viendra prendre racine chez nos voisins de Fibois. Un geste simple, poétique, qui, peut-être, permettra de semer ensemble un peu plus de conscience et de beauté ?