
Professeur des écoles en Bretagne, Erwan Vappreau intègre depuis plus de 20 ans les pédagogies actives à sa pratique, en s’appuyant sur les fablabs, la classe dehors et les dynamiques collaboratives. Curieux du monde Maker, il embarque dès 2017 ses élèves dans la fabrication d’objets utiles, notamment avec l’impression 3D. Son approche relie créativité, engagement solidaire et coopération, en lien avec des chercheurs, artistes ou acteurs du handicap. Co-président de Tiers-Lieux Edu, il milite pour une éducation ouverte, documentée et transdisciplinaire. Il développe aussi des projets comme fabriquedu.org, une plateforme collaborative de ressources pédagogiques à fabriquer soi-même.
Qui es-tu ?
Je suis Erwan Vappreau, professeur des écoles en Bretagne depuis près de 20 ans. Avant cela, j’ai acquis plus de 10 ans d’expérience professionnelle et bénévole dans le domaine de l’éducation à l’environnement, ainsi que dans le développement de projets scientifiques et techniques à destination des jeunes. J’ai également contribué à la mise en place d’événements et de formations, principalement au sein d’associations spécialisées.
Actif dans plusieurs associations locales et nationales, je suis actuellement co-président de l’association Tiers Lieu Edu.
Peux-tu nous raconter ton parcours en tant que professeur des écoles, comment tu as découvert l’univers des Fablabs, et l’impact que cela a eu sur ta pédagogie ?
A travers mon cursus et expériences associatives ou professionnelles, j’ai toujours été engagé dans ma pratique dans le développement de pédagogies actives, notamment de pédagogies de projets. C’est avec planète sciences que je découvre le monde des fablabs alors qu’ils émergent tout juste en France.
J’observe quelques années, puis je me lance avec mes élèves en 2017 dans l’assemblage d’un prototype d’imprimante 3D fonctionnelle, ne nécessitant que de la colle à bois et des colliers Colson. Après deux années d’expérimentation, ce projet est remarqué et je me retrouve à le valoriser aux rencontres internationales des Fablabs ; Fab14. C’est là que je plonge pleinement dans le monde Maker, et même pédago-Maker. J’ai aussi la chance d’être proche de Rennes, un territoire riche de Fablabs.
Tu as utilisé l’impression 3D pour des projets en collaboration avec des chercheurs et pour des personnes en situation de handicap. Peux-tu nous en parler et expliquer l’impact de ces projets sur tes élèves ?
L’idée n’est pas révolutionnaire. Il s’agit d’aborder et de renforcer les compétences scolaires à travers des situations d’apprentissage porteuses de sens, afin de favoriser l’engagement des élèves, dans la mesure de leurs compétences. Il s’agit aussi, par des approches fondées sur « le faire », d’engager les élèves dans des dynamiques de coopération ou de collaboration, et de leur faire vivre des activités d’investigation, d’expérimentation, de co-construction…
En mettant en place ces démarches de projet, j’ai cherché à offrir aux élèves les moyens d’élargir leur capacité à fabriquer des objets, afin de leur permettre de répondre à des problématiques originales et enrichissantes, souvent proposées par des partenaires extérieurs à la classe. Depuis 2017, j’ai ainsi progressivement cherché à installer un fablab dans ma classe ou mon école.
L’apprentissage et la manipulation de ces outils mobilisent également de nombreuses compétences fondamentales, en plus de l’accès au numérique, notamment en mathématiques. Ces outils ne sont pas une fin en soi, mais interviennent, si besoin, au service de projets. Beaucoup ont permis de développer aussi la dimension solidaire : le plaisir de rendre service, de se rendre utile. Cela invite à sortir de la classe, à s’ouvrir à l’autre, au monde qui nous entoure, et à construire une relation privilégiée avec divers partenaires.
Même si je développais ces pratiques depuis très longtemps, l’arrivée des outils de création numérique n’a fait que renforcer notre capacité, en classe, à mobiliser les compétences, savoir-faire et savoir-être patiemment construits durant l’année, au service de nombreux partenaires variés : chercheurs dans des disciplines diverses, centres de rééducation, musées, artistes, spécialistes du spatial, acteurs engagés contre la pollution des océans, ou encore d’autres classes, de niveaux et de pays différents.
Cela nous a parfois permis de requestionner nos représentations sur des sujets comme le handicap ou le dérèglement climatique. Dernier point : chercher à intégrer en classe un esprit fablab, c’est aussi intégrer le souci de produire des écrits, non seulement pour rendre compte du travail réalisé et le valoriser, mais aussi pour le documenter, le rendre reproductible, le partager, et ainsi contribuer à un commun. Cela implique donc beaucoup d’écrits ou d’expressions orales associés.
En tant que co-président de TiersLieuxEdu, quel rôle cette organisation joue-t-elle dans ton travail et dans l’innovation pédagogique ?
Cette association s’est donné pour mission de favoriser les actions qui rapprochent le monde des fablabs, des makers et celui de l’éducation. Elle rassemble principalement des professionnels de l’éducation, des fabmanagers et des makers chevronnés. Encore de taille modeste, elle a néanmoins développé depuis sa création en 2018 plusieurs projets en ce sens, notamment :
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La création de la dynamique « Je fabrique mon matériel pédagogique », qui vise à soutenir les lieux de fabrication souhaitant organiser des temps forts et partagés autour de la fabrication de matériel pédagogique. Cette démarche associe enseignants, makers, formateurs, médiateurs, facilitateurs… Pour les fablabs qui se lancent dans cette aventure, elle peut contribuer à renforcer un réseau local de pédago-makers susceptibles de fréquenter leur lieu.
Cette dynamique a vocation à s’étendre à l’échelle de la francophonie. Une édition a d’ailleurs été organisée lors de l’événement Make Africa à Abidjan, à destination de makers et d’enseignants de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest engagés dans le ReFFAO (Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest), avec lequel nous collaborons depuis sa création.
De cette ambition est née une plateforme de partage de matériel pédagogique :
👉 fabriquedu.org
Un forum y est également proposé pour faciliter la mise en réseau des personnes intéressées par cette thématique.
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Diverses actions de terrain et formations ont également été menées pour encourager la mise en œuvre concrète de ces pratiques :
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animation d’un fablab dehors lors des Rencontres internationales « Classe dehors » 2024,
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participation régulière aux événements Make Africa depuis 2020,
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implication dans divers hackathons,
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présence à des rassemblements de Makers comme le Nantes Maker Campus,
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mais aussi à des événements plus proches du monde de l’éducation comme Ludovia ou les Rencontres nationales du libre éducatif.
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Quel est l’objectif de la plateforme « Je fabrique mon matériel pédagogique » : fabriquedu.org et comment a-t-elle été reçue par la communauté des Fablabs et des éducateurs ?
Cette plateforme est un commun numérique qui regroupe la documentation de différentes réalisations (outils, équipements, matériels et astuces) proposées par la communauté éducative, dans le but de faciliter et promouvoir l’essaimage de projets de fabrication pédagogique à l’école.
Comme évoqué plus haut, les pratiques des fablabs sont normalement étroitement liées à la documentation partagée, essentielle à la création de communs.
Mais le constat est le suivant :
Aujourd’hui, cette dynamique a du mal à se maintenir. Tous les lieux de fabrication ne disposent pas d’un espace de documentation en ligne. Et lorsqu’elle existe, celle-ci est souvent éparpillée sur diverses plateformes : il n’est donc pas toujours facile de s’y retrouver pour un acteur de l’éducation souhaitant chercher du matériel à fabriquer soi-même ou prêt à partager ses créations.
Les pédago-Makers, ces enseignants ou non-enseignants attachés à partager des créations à vocation pédagogique, sont donc difficiles à identifier. Il leur manquait un espace spécifique pour documenter et échanger.
L’association Tiers-Lieux Edu a donc développé cette plateforme pour soutenir ces acteurs et offrir un espace de documentation à toute structure souhaitant valoriser des créations à visée éducative.
Elle repose sur le logiciel libre do.doc, créé par l’Atelier des Chercheurs, dont Tiers-Lieux Edu est une communauté contributrice active. La plateforme est très bien reçue, car elle est facile d’accès. Les acteurs y sont clairement identifiés et valorisés, ce qui donne une visibilité supplémentaire à leurs documentations, et donc au matériel qu’ils proposent pour le fabriquer soi-même avec un objectif pédagogique.
Elle est particulièrement appréciée pour sa modularité, car elle n’oblige pas à ressaisir une documentation déjà publiée ailleurs. Au contraire, le travail (site, PDF, etc.) peut y être intégré en embarquant des contenus initialement référencés sur d’autres plateformes. Pour certaines structures, cela offre une visibilité accrue, en incitant aussi à découvrir d’autres créations sur diverses thématiques réalisées par les contributeurs.
D’un autre côté, son ergonomie, régulièrement améliorée, en fait aujourd’hui l’un des outils les plus conviviaux et accessibles pour s’initier à la documentation.
Quels sont tes projets actuels ou à venir qui intègrent les Fablabs ou les méthodologies transdisciplinaires dans l’éducation ?
Cette année, mes élèves travaillent sur la création d’un disque en impression 3D, au format vinyle, qui présente un relief particulier. Placé sur un tourne-disque, ce relief génère, par frottement avec la tête de lecture, un rythme spécifique. Ce projet est destiné à l’artiste de jazz Lorenzo Naccarato, avec qui nous collaborons. Ayant parcouru, tout au long de l’année, des milliers de kilomètres avec son piano préparé, du nord de la Baltique jusqu’au Sénégal, en suivant la route des oies sauvages, il souhaitait un tel objet, avec un défi supplémentaire : que le relief traduise en sons, comme une boîte à rythmes, la topographie des paysages traversés pendant sa tournée. Géographie et mathématiques se sont donc fortement invitées dans ce projet.
Nous travaillons également avec Christine Rollard, aranéologue au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, pour aborder des sujets liés à la biodiversité et à l’écologie, à travers le prisme des araignées. La création numérique est ici associée à une observation minutieuse de ces animaux. À l’invitation de la chercheuse-enseignante, les élèves sont passés de l’observation fine à la loupe binoculaire à la modélisation en pâte à modeler des chélicères et des filières des araignées. Le numérique permet ensuite de scanner ces créations et de concevoir progressivement une maquette reproductible de ces organes, afin de vulgariser leur fonctionnement et leur rôle chez l’araignée.
Tu es ambassadeur de l’initiative Classe Dehors. En quoi cette expérience enrichit-elle ta démarche pédagogique et celle de tes élèves ?
La classe dehors n’est pas une pratique limitée aux seules activités de découverte de l’environnement. Il s’agit avant tout d’offrir, de manière régulière, un autre cadre pour les apprentissages, en dehors de la salle de classe. C’est une façon de se reconnecter naturellement à la nature, de réapprendre à vivre avec elle et à la respecter. Cette approche présente aussi de nombreux bénéfices pédagogiques et relationnels, en favorisant par exemple la coopération, l’écoute, ou encore l’apaisement au sein du groupe.
Cette pratique amène souvent à réinterroger ses habitudes d’enseignement, parfois en profondeur. Mais il suffit parfois d’un simple quart d’heure de lecture au pied d’un arbre, ou d’un exercice de calcul mental en pleine nature, pour que des changements de posture riches et féconds apparaissent, au bénéfice des apprentissages visés.
Il peut arriver que l’on ressente le besoin d’utiliser du matériel pédagogique spécifique, que la nature ne met pas toujours à disposition. Le lien avec la plateforme fabriquedu.org, et son espace dédié à la classe dehors, est alors tout naturel… À bon entendeur !
Enfin, pour moi, c’est aussi un terrain d’expérimentation, où j’explore, de manière finalement moins contradictoire qu’il n’y paraît, la place du numérique dans ces temps de classe en extérieur.
Le « Maker-ed » (éducation par la fabrication) est au cœur de ta pratique. Quelles compétences cherches-tu à développer chez tes élèves grâce à cette approche ?
Je ne peux pas mettre un nom précis sur ma pratique, car je n’ai pas la prétention d’en être un référent. Je teste différentes façons de faire, qui évoluent en fonction des projets qui émergent ou du profil des élèves, qui change chaque année. L’éducation par le faire en fait néanmoins partie intégrante.
Nous sommes cependant nombreux, en tant qu’enseignants, à être très attachés à l’idée d’introduire une pratique du « faire ensemble » pour aborder, renforcer ou valoriser une compétence scolaire. C’est une manière de permettre aux élèves de vivre des expériences qui contribuent également à la construction de leur citoyenneté, de leur esprit critique, de leur capacité à adopter une démarche scientifique, voire expérimentale, de leur curiosité, de leur confiance et estime de soi, de leur ouverture au monde et aux autres, ainsi que de leur bienveillance…
C’est aussi un terrain propice pour travailler sur l’égalité filles-garçons et renforcer le lien des jeunes filles avec les sciences et la technologie. J’attache par exemple de l’importance à ce que des femmes soient présentes parmi les spécialistes ou les professionnels avec lesquels nous collaborons, ou vers lesquels nous nous tournons dans le cadre de projets de création numérique.
Mais comme toute pratique pédagogique, celle-ci vient en complément d’autres disciplines ou approches, dans une visée commune d’émancipation et d’apprentissage.
Comment vois-tu l’évolution du rôle des Fablabs et de la fabrication numérique dans l’éducation dans les prochaines années ?
Rapprocher les deux univers a beaucoup de vertus à mon avis. L’univers des fablabs offre, simplement sur le plan technique, des outils supplémentaires au service de projets de création, ouvrant le champ des possibles à ce niveau. De nombreuses compétences scolaires y sont sollicitées, contribuant, par leur réinvestissement, à en donner du sens.
L’esprit Maker, tel que je le conçois personnellement, contribue à l’idée d’entraide, de coopération, de partage de savoir-faire, de construction de communs. On y retrouve aussi souvent une volonté de comprendre le fonctionnement des choses et d’être capable de le refaire.
La création numérique offre aussi, par le faire soi-même, des pistes incroyables pour enrichir un projet tourné autour de la solidarité, de l’obsolescence programmée, du recyclage des déchets, de l’upcycling, du prototypage, du handicap, de la création artistique, de la modélisation de phénomènes à vulgariser, de l’inclusion et bien d’autres.
Maintenant, il est utopique d’imaginer une généralisation de ces pratiques. Les acteurs de l’éducation intéressés par le sujet ont besoin de soutien, de reconnaissance institutionnelle par de la formation, la création d’espaces de partage de pratiques, ou encore une aide à l’équipement technique. Il n’est pas facile d’imaginer voir un jour un tel développement s’opérer, alors même que le fossé numérique n’est déjà pas comblé. Des fablabs dans les établissements sont nés, notamment dans le secondaire, des dispositifs pour emprunter du matériel aussi. Le dispositif « École, faisons-la ensemble » a permis de soutenir la création de quelques-uns.
Cependant, les fablabs éducatifs vivent souvent grâce à l’engagement d’une ou deux personnes dans les établissements, qui ont besoin d’être soutenues pour montrer à quel point ce ne sont pas des lieux exclusivement tournés vers la technologie, mais aussi des lieux de création au service de l’ensemble des disciplines, un espace où justement la transdisciplinarité peut s’y développer de façon incroyable.
Côté fablabs, des événements comme ceux organisés par Makeme montrent aussi qu’il y a une vraie communauté de passionnés et une professionnalisation grandissante du côté des facilitateurs, qui cherchent le soutien financier nécessaire au développement d’un volet éducatif dans leurs pratiques.
Restons donc positifs, motivés. Essayons de maintenir et de renforcer la pratique de la documentation pour gagner en visibilité et donner de la matière pour convaincre de la pertinence d’être soutenus, encouragés et financés.
Y a-t-il enfin un dernier projet, auquel tu contribues dans le champ de la création numérique ?
J’ai évoqué précédemment la question de la documentation, qui avait fait naître à Tiers Lieu Edu le désir de monter la plateforme FabriqueDU. Nous travaillons avec des fablabs du Réseau Francophone des Fablabs d’Afrique de l’Ouest depuis quelques années. Le dernier événement Makers, « Make Africa », a unanimement fait émerger l’importance pour chacun de développer la documentation afin que les projets portés par les fablabs d’Afrique de l’Ouest gagnent en visibilité. Nous avons donc pu développer avec eux, et pour eux, leur toute récente plateforme de documentation du REFFAO, sur laquelle chaque fablab du réseau pourra administrer son espace de documentation.
Nous revenons tout juste du Bénin, où nous avons accompagné l’équipe du Blolab de Cotonou pour prendre en main l’outil et le diffuser aux partenaires du réseau. Nous y avons d’ailleurs expérimenté ensemble une version hors ligne sur Raspberry pour permettre de faire de la documentation dans le Blobus, une incroyable classe numérique mobile, lors de ses missions dans les régions sans connexion.