Portrait de Maker #171 : Nicolas Huchet

Nicolas Huchet, alias Bionico, incarne l’innovation solidaire et le partage au service du handicap. Après un accident du travail à 18 ans, il s’est tourné vers les FabLabs pour fabriquer une prothèse bionique grâce à l’impression 3D et l’open source. Fondateur de My Human Kit, il démocratise la création d’aides techniques accessibles en mettant les personnes concernées au cœur des projets. Avec des initiatives comme le Humanlab et des succès comme le Cybathlon, où il a terminé deuxième, Nicolas prouve que le handicap peut être une source de créativité. Son engagement : bâtir un futur inclusif et collaboratif.

Qui es-tu ?

Je m’appelle Nico Huchet, mais dans le milieu des Makers, je suis connu sous le nom de Bionico. Ce surnom, un jeu de mots inventé par un ami, fait référence à ma prothèse bionique.

Je porte une prothèse de main myoélectrique, conséquence d’un accident du travail à l’âge de 18 ans, alors que je travaillais en maintenance industrielle. Cet événement m’a conduit à me reconvertir dans le domaine du bureau d’études. Plus tard, j’ai suivi une formation d’ingénieur du son, qui m’a rapproché de mon rêve de travailler dans la musique. C’est d’ailleurs cette passion qui m’a amené à Rennes en 2008. Aujourd’hui, je travaille chez My Human Kit.

J’apprécie particulièrement la diversité des personnes, des cultures, des pratiques, des méthodes de travail et des visions du monde. Cela me rappelle que personne ne détient la vérité absolue et qu’il est essentiel de rester ouvert pour comprendre le monde et apprendre à le transformer.

Comment définirais-tu ton parcours de Maker depuis que tu as lancé ton projet de prothèse Bionico ?

Au moment où le projet a démarré, je venais enfin de trouver une solution pour adapter une baguette de batterie sur ma prothèse, ce qui me permettait de voyager et de jouer de la musique partout. À l’origine, le projet avait pour but de m’apprendre l’impression 3D, la conception, le code et la découpe laser. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu : le projet Bionico a rapidement gagné en notoriété, et à la place, j’ai voyagé aux quatre coins du monde pour en parler.

Cela dit, en collaborant étroitement avec des Makers et des ingénieurs depuis maintenant 10 ans, je continue à développer mes compétences à mon rythme. Surtout, aujourd’hui, je possède des prothèses parfaitement adaptées au bricolage.

Peux-tu nous parler de l’année 2013, lorsque tu as commencé à travailler sur ta première prothèse ?

J’étais sans emploi, pas très bien dans mes pompes, et je ne voyais pas vraiment le sens de ma vie. J’ai fini par en trouver un en découvrant le Labfab, qui m’a proposé un coup de main pour fabriquer ma propre main bionique. Je trouvais cela bien plus intéressant (et plus accessible) que de devoir réunir 50 000 euros pour acheter une prothèse récente.

En échange de leur aide, je devais partager les plans pour que d’autres amputés puissent, eux aussi, accéder à cette prothèse. Cela donnait encore plus de sens à la démarche ! Quelques mois plus tard, on s’est revus : ils avaient imprimé une main. J’ai suivi les conseils de Hugues en me mettant sur les réseaux sociaux, et d’autres Makers ont prêté main-forte, comme Yo, Sami, Laurent, ainsi que des lycées et des associations.

C’était un sentiment puissant : j’avais l’impression d’appartenir à un groupe.

Comment les FabLabs et l’open source ont-ils joué un rôle dans ta démarche ?

Sans le Labfab, je n’aurais eu accès ni à un lieu, ni à une imprimante 3D, ni à des cartes électroniques, ni à des personnes pour bricoler tout ça. Quant à l’open source, c’est ce qui a permis d’initier la démarche et de réaliser quelque chose de concret que l’on a pu adapter. Dans mon cas, il s’agissait de la main InMoov, avec un tutoriel et des photos expliquant chaque étape de fabrication. Il n’y avait plus qu’à se lancer, et c’est grâce aux Makers et aux dons de matériel que l’on a pu fabriquer le premier prototype.

C’était extraordinaire ! Un immense merci à toutes celles et ceux qui ont le sens du partage et de l’entraide : ce sont les meilleures armes pour combattre les inégalités.

Le projet Bionicohand a rapidement suscité l’intérêt. Quels ont été les plus grands défis auxquels tu as dû faire face dans son développement au fil des années ?

Un des premiers grands défis a été de gérer la vague médiatique qui titrait : « Un ingénieur amputé se fabrique sa propre prothèse bionique avec une imprimante 3D ». C’était difficile, car c’était faux. Il s’agissait avant tout d’un projet collectif dont j’étais le porte-parole. Cela a créé des tensions, et on s’est même fâchés. Heureusement, avec le temps, les choses se sont apaisées.

Alors que la presse s’emballait et que l’on me conseillait de créer une start-up, la main était encore en pièces détachées au Labfab. Elle cassait souvent : c’était une preuve de concept, loin d’être une prothèse fonctionnelle. J’avais parfois l’impression d’être un imposteur.

Plus tard, un autre grand défi a été de passer en mode « industriel » et de trouver des partenaires professionnels. Cela impliquait d’écrire un cahier des charges et de se tourner vers de la mécanique conventionnelle, avec de l’usinage en aluminium. Aujourd’hui, les plans de la Bionicohand V3 sont disponibles en téléchargement sur GitLab, via bionico.org.

Team Bionicohand of France is competes in the ARM – Arm Prosthesis Race during the Cybathlon 2024 in Kloten, Switzerland, Saturday, Oct. 26, 2024. (Photo by ETH Zurich / Cybathlon / Alessandro Della Bella)

En 2014, tu as fondé l’association My Human Kit pour rendre les aides techniques accessibles. Peux-tu nous en dire plus sur cette initiative et les projets réalisés à travers cette association ?

Disons que Bionico, c’est mon projet personnel, tandis que My Human Kit, c’est un projet collectif avec une démarche similaire : donner la possibilité aux personnes en situation de handicap de bricoler.

Le premier constat, c’est que dans notre société, il faut « aider » les personnes vulnérables, c’est-à-dire créer des structures d’accueil où tout est facilité pour elles. Si vous êtes handicapé, c’est un peu triste, car cela donne l’impression que vous êtes condamné à être assisté.

Le deuxième constat, c’est qu’il n’existe pas d’atelier de bricolage dédié à la fabrication d’aides techniques pour le handicap. Nous avons créé le premier Humanlab en 2016, et il en existe aujourd’hui 15 à travers toute la France.

Des centaines de projets ont vu le jour, comme Yes We Canne, Exo Finger, ou Jeu Vote. Ces initiatives vont de la démarche citoyenne participative à la mécatronique. N’hésitez pas à visiter wikilab.org pour les découvrir ! 😉

Le mouvement « handicapowerment » est au cœur de ton travail. Comment cette philosophie a-t-elle influencé ton approche du design et de l’innovation ?

Notre vision de l’handicapowerment, c’est que le handicap peut être une source de créativité, et que si tout le monde le percevait ainsi, l’avis des personnes handicapées serait pris au sérieux.

Quand une personne handicapée participe pleinement à son projet, on constate que les dernières innovations technologiques complexes ne sont pas forcément choisies en priorité. Notre rôle est d’accompagner les porteurs de projet pour qu’ils définissent eux-mêmes leurs besoins.

L’innovation est avant tout sociale. Quant au design, oui, il est essentiel de rendre les aides techniques aux handicaps plus attrayantes pour donner envie de les porter. Parce que, franchement, entre nous, ça vous est déjà arrivé de porter une paire de baskets moches ? 😉

Peux-tu nous expliquer comment ta participation à des événements comme le Cybathlon en 2024 a marqué l’évolution de ton parcours ?

Le Cybathlon nous a permis de montrer au monde que la technologie solidaire est possible en passant par la voie collaborative, qu’il est essentiel que les personnes concernées soient au cœur des projets de R et D et que nos travaux sont open source. C’est un aboutissement, finir sur la deuxième place du podium devant les prothèses du marché, c’est bien la preuve que nous sommes sur le bon chemin. La prothèse n’est pas utilisable au quotidien, il lui faut plus de force de serrage, l’alléger… mais grâce à cette belle équipe qui m’accompagne (partenaires techniques : J-F Tech, Orthopus, INRIA, OPR, lycée Saint Aubin la Salle et les bénévoles MHK), je regarde 10 ans en arrière et je me dis que c’est exactement ce que nous voulions faire. Maintenant je vais pouvoir me projeter sur les 10 prochaines années.

Team Bionicohand of France celebrates after finishing second in the ARM – Arm Prosthesis Race during the Cybathlon 2024 in Kloten, Switzerland, Saturday, Oct. 26, 2024. (Photo by ETH Zurich / Cybathlon / Nicola Pitaro)

Quel rôle cet événement a-t-il joué dans l’avancement de ton projet et dans ta vision de l’innovation ?

Il nous a permis de fixer un cap, un objectif, avec des milestones comme on dit chez les pros ! 😉 En tant qu’association de Makers avec un côté bidouille pleinement assumé, cet événement nous a permis de montrer que My Human Kit sait aussi faire de la mécatronique de précision, comme les grands instituts de robotique européens. Le résultat obtenu au Cybathlon m’a fait prendre conscience que nous étions dans le vrai : la prothèse Bionicohand V3 était plus performante que ce que j’avais imaginé, et que la véritable innovation réside dans l’implication des personnes concernées dans la R&D.

Depuis 2015, de nombreuses avancées technologiques ont eu lieu. Quelles sont, selon toi, les évolutions les plus marquantes dans le domaine des prothèses et des technologies d’assistance, et comment y as-tu contribué ?

On idéalise trop l’innovation technologique. En 2015, voir une personne paraplégique marcher avec un exosquelette, c’était perçu comme un défi aux lois du handicap, et on parlait de « refaire marcher les gens comme avant ». Aujourd’hui, ces dispositifs sont utilisés dans les centres de rééducation, et on évoque plutôt des « séances de verticalisation ». On est encore bien loin de marcher comme avant…

Je pense avoir contribué à introduire le terme Humain Réparé en complément de Humain Augmenté, qui faisait tant parler. C’est important de préciser qu’avant d’être augmenté, il faut déjà pouvoir utiliser son corps sans difficultés.

En 2015, il existait quatre modèles de prothèses de main. Aujourd’hui, on en compte une dizaine, allant du plus robuste au plus connecté. Je les ai toutes essayées, et je suis convaincu que nous devons poursuivre notre projet. Si les nouveaux modèles proposent des options de préhension qui n’existaient pas avant, ils restent bien moins performants et tombent fréquemment en panne.

Inventer une prothèse pratique, stylée et abordable ? C’est exactement notre projet !

À travers My Human Kit, tu as pu voir l’impact concret de tes projets sur les personnes. Quels témoignages ou réussites t’ont particulièrement marqué ?

Chez My Human Kit, on mesure la réussite d’un projet par l’effet psychologique qu’il a sur les gens. Si quelqu’un vient parce qu’il a besoin d’une aide technique, puis, une fois son projet terminé, revient pour aider quelqu’un d’autre ou participer à la vie associative, c’est gagné. Il y a également celles et ceux qui viennent donner un coup de main et se découvrent une nouvelle passion.

Quand quelqu’un dit : « En fait, ce que je voudrais faire, si je pouvais… », cela signifie qu’un déclic a eu lieu et qu’il découvre sa capacité d’agir. C’est la plus belle reconnaissance que l’on puisse avoir.

Nous sommes adeptes du « Quand on peut, on veut », et non l’inverse ! 😉

Quels projets et collaborations sont en cours pour l’avenir de My Human Kit et de tes travaux personnels ?

My Human Kit anime 2 ateliers de 100 m² : le Humanlab Askoria pour les projets FabLabs (impression 3D, électronique…) et la Kazamob à la ferme de la Harpe pour les projets mécaniques et de mobilité douce. Cette année, nous allons organiser des ateliers Mobilab durant lesquels nous équiperons des fauteuils roulants avec des moteurs de vélos électriques. Il y aura de la mécano-soudure, de l’électronique. Si vous êtes Makers ou en fauteuil (ou les deux), contactez-nous ! Nous aimerions également organiser un Fabrikarium d’entreprise (hackathon handicap) et coordonner des temps de travail avec les autres Humanlabs de France.

Concernant Bionico, en février nous allons soumettre la main à des tests de résistance en vue d’une publication scientifique avec l’INRIA de Montpellier.

Enfin, quel conseil donnerais-tu aux Makers qui, comme toi, veulent allier innovation, open source et impact social dans leurs projets ?

Gardez en tête que les métiers passion sont risqués, car on ne voudrait jamais s’arrêter. Alors, faites des siestes, car finalement, parfois, prendre son temps, c’est aller plus vite.

Jean-Marc Méléard
Nous serions ravis de connaître votre avis

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