Portrait de Maker #186 : Nicolas Savoye

Nicolas Savoye vit en Haute-Loire où il a fondé l’Atelier des Inventions Géniales. Depuis 2005, il imagine et construit des machines poétiques et sculptures animées, nées d’objets de récupération qu’il glane et transforme. Ses créations nourrissent le spectacle vivant, les musées, les festivals, mais aussi la rue et les hôpitaux, toujours avec la même ambition : partager de la joie et réenchanter le quotidien. Inspiré dès l’enfance par son goût du bricolage et renforcé par des rencontres marquantes, il a appris son métier sur le tas, guidé par la curiosité et la poésie mécanique. Entre décors sur mesure, installations personnelles, ateliers de bidouillage créatif et illustrations, son travail invite chacun à inventer, rêver et s’approprier un imaginaire commun.

Qui es-tu ?

Je m’appelle Nicolas Savoye, j’ai 41 ans, j’habite avec ma petite famille en Haute-Loire (43) dans un village (Saint-Vidal) non loin du Puy-en-Velay, dans la jolie vallée de la Borne.

Depuis 2005, je crée des mécaniques poétiques, des machines bizarres, des sculptures animées pour le spectacle vivant, les musées, les collectivités territoriales, les offices de tourisme, les particuliers…

Tout ce que j’invente est fabriqué à partir d’objets de récup. Ce sont eux qui stimulent mon imaginaire depuis tout petit. J’aime profondément partager ce qui me rend joyeux au plus grand nombre au travers de mes créations, installations et ateliers.


Comment est née ta passion pour le bricolage et la récupération ? Quel rôle ont joué ton enfance et ton environnement dans cette démarche ?

Depuis tout petit, je gratte le sol à la recherche de je-ne-sais-quoi. Je m’amuse seul ou à plusieurs, avec ce que je trouve là, autour de moi. Je m’invente des histoires avec tous ces objets, ces matières dont les grands ne veulent plus. Sacrée mine d’or !!!

Et peu à peu, mon monde imaginaire m’apparaît à travers ces petites machines bricolées qui envahissent le balcon parental. Ce goût de la bricole et du bidouillage ne m’a jamais lâché. Je me plais à me balader : dans les maisons écroulées, abandonnées, délaissées ; dans d’anciennes usines désaffectées, les casses et déchetteries, dans le lit des rivières après les crues, sur les plages l’hiver… dans tous ces lieux vastes et retournés à la recherche de trésors oubliés. Chaque objet ou bout de chose que je ramasse trouve sa place dans mon imaginaire. Et j’appelle ceci ma poésie mécanique.


Comment es-tu passé de créations personnelles à des projets partagés avec le grand public, comme avec le groupe des Vieilles Valises ou le spectacle Cyrclik ?

En cheminant tranquillement dans ma vie d’enfant, d’ado et d’adulte, j’ai pris confiance en moi, en mes mains et en mon univers créatif. Cette confiance en soi s’est renforcée en rencontrant une formidable plasticienne (Clorinde Coranotto, asso Art Nomad) en terminale, lors d’une semaine d’atelier de création intense au sein de mon lycée agricole (merci à la prof d’ESC « éducation socio-culturelle »). J’étais comme un poisson dans l’eau !!!

Je ne me suis jamais dit que je voulais faire ça dans ma vie, mais par contre, dès que j’avais du temps pour ça, j’y allais à fond. Les choses sont venues tranquillement au fil des rencontres avec de bonnes personnes (une céramiste, un forgeron, un dinandier, un technicien du spectacle, des copains musiciens, un super prof de théâtre, etc…). Parmi tout ce que j’ai pu voir et lire, j’ai vu à 14 ans un spectacle du « Royal de Luxe » lors de leur retour d’Afrique devant le Palais des Papes à Avignon. C’était incroyable et merveilleux. Une claque !!!

En sortie de BTS « Services en Espace Rural », on monte notre groupe « Les Vieilles Valises » avec les copains, ça commence à bien fonctionner et tout à coup j’ai envie de nous faire un décor mécanique. Premier décor de ma vie, première fois que le grand public découvre mon univers, et première fois que l’on me demande un décor professionnel payé pour le spectacle « Cyrclik » de la Cie Juste à Temps.

Et depuis 20 ans (je touche du bois), les commandes, les projets, les collaborations, les rencontres s’enchaînent grâce à un super bouche-à-oreille (les réseaux sociaux, je n’y arrive pas), pourvu que ça dure parce que je me régale. Le nez au vent, j’ai appris mon travail sur le tas avec une passion farouche pour transformer les histoires, les idées, les folies en réel, en tangible. J’aime faire rêver les gens.


Peux-tu nous présenter « L’Atelier des Inventions Géniales » et ses différentes branches ?

Mon arbre, ma folie, mon Atelier des Inventions Géniales se compose actuellement de 4 branches :

Création sur mesure : commande de décors, de machines, d’installations, de sculptures pour le spectacle vivant, pour les musées, pour les collectivités territoriales, pour les particuliers…

L’Atelier des Inventions Géniales met son savoir-faire au service de personnes qui imaginent et racontent de belles histoires qui font du bien.

Dans mon atelier, des détails, des éléments de ces histoires prennent vie et deviennent palpables, visibles, réels… Les décors, les accessoires, les machines, les installations que je crée mélangent un imaginaire fantastique à des techniques scientifiques simples mais efficaces.

Il en résulte un univers poétique et mécanique en mouvement.

Machines et installations plus personnelles qui sortent sur des festivals, dans la rue, dans les hôpitaux… à la rencontre des gens pour un moment de partage et de poésie.

Quand c’est le moment, je prends un temps pour aller au bout d’une idée, d’une intuition qui se présente.
C’est le temps des créations plus intimes, celles qui sont là depuis tout petit, les inventions géniales de l’enfance.
Elles correspondent souvent à des moments, à des choses de la vie, agréables ou non, qui, une fois passées à la moulinette du temps et de l’imaginaire, se transforment en créations, en machines, en installations. Les partager par la suite avec d’autres personnes devient important et nécessaire.

Je m’amuse depuis plusieurs années à ne plus utiliser d’électricité dans mes machines, ceci m’obligeant à inventer d’étranges moteurs à ressort, à contrepoids, à énergie musculaire ou autre. C’est ici que la mécanique devient poétique.

Intervention « Bidouillage créatif » : bricolage imaginaire avec des objets de récup
Pour moi, le partage et la transmission sont des valeurs importantes.
C’est pourquoi, dans une envie d’éducation populaire, l’Atelier des Inventions Géniales propose depuis le début de son activité en 2005 des ateliers de « Bidouillage créatif » en direction de tous les publics : pour tous les âges (enfants, ados, adultes, anciens), pour tous les publics (ex. : personnes dites en situation précaire, personnes présentant des handicaps, service de pédopsychiatrie…) et pour toutes sortes d’organisations et institutions (ex. : collège, lycée, école primaire, festival, communes, intercommunalité, hôpital, associations caritatives…).

Illustrations et graphisme
J’aime bien me mettre au chaud de temps en temps pour déployer mon imaginaire avec des outils légers.
Dessiner permet parfois de coucher sur papier d’autres types d’idées, de se laisser aller sans se poser la question de la faisabilité. C’est beaucoup de plaisir. Des univers apparaissent, des personnages, des formes étranges.

Ça déclenche un autre endroit que de créer en 3D. Ça permet parfois d’y voir plus clair sur certaines idées qui prendront vie dans l’atelier mal chauffé.

Je dessine aussi pour d’autres : visuels d’affiches, de CD, illustrations pour musées, collectivités territoriales, particuliers… Le souhait d’explorer de grandes surfaces comme des murs ou des sols commence à pointer le bout de son nez !!!


Matériaux
Au début de mon histoire, je partais avec mon BMX et mon sac à dos glaner des objets dans les vieilles maisons, les usines désaffectées, les lits de rivières… et ensuite j’ai eu, grâce à un copain (Guillaume), un rendez-vous (qu’il soit ici remercié) avec le directeur du Centre de Récupération et Valorisation des déchets Vacher (Mathieu Charreyre), qui m’a fait confiance et donné, il y a vingt ans, accès à une masse incroyable d’objets. Merci à lui.


Tu interviens auprès de publics très variés, dans des contextes multiples. Qu’est-ce qui te plaît dans ces ateliers de bidouillage créatif ?

Je me régale de créer un terrain de jeu fertile, où les participant(e)s vont s’en donner à cœur joie. Dans ces ateliers, tout est possible. On s’amuse, on crée, on se rate, on profite du ratage, on fait ensemble, on apprend à se connaître, on partage du bizarre.

Avec des matériaux de récup et des outils de bricolage, on assemble, on découpe, on tord, on visse, on casse, on répare, ou pas.
On invente, on s’invente, on se déploie, on va au bout du truc, on est là ! On se fiche de la « Beauté », on cherche la nôtre et on la partage : maintenant !!!

Quand l’énergie est là, j’amène le groupe ou la personne à faire des créations qui les dépassent, dans lesquelles on peut rentrer, monter dessus, se déplacer avec, s’abriter, etc…

Pour faire honneur à cette phrase : « Ils ne savaient pas que c’était impossible et ils l’ont fait ! »

Dans ces ateliers, je transmets ce qui m’a été transmis par toutes les personnes qui m’ont accordé un peu de leur temps. C’est comme si je transmettais le « bâton de relais » que m’a transmis Clorinde (la plasticienne) quand j’étais plus jeune. Un bâton, un sac, une boîte au trésor remplie de plusieurs outils précieux pour « être au monde » et « créer à tout va ».

De temps en temps, un enfant, un ado, un adulte va faire silence et va s’impliquer à sa manière, un peu plus que les autres, dans le projet en cours, faire sortir sa sève, ça va devenir important pour lui.

Hop ! Bâton transmis !!!


Parmi tes créations ou interventions, y en a-t-il une qui t’a particulièrement marqué ? Pourquoi ?

Mon dispositif pour faire du vélo volant, fabriqué il y a à peu près 15 ans, a marqué pour moi une étape importante, car j’ai réalisé mon rêve de voler en vélo grâce à mes mains et à la somme des savoir-faire acquis tout au long de ma route.

Au niveau intervention, avec le dispositif Interstice, j’ai travaillé toute cette année avec les jeunes du service pédopsychiatrique de l’hôpital Sainte-Marie à Clermont-Ferrand.

Nous sommes allés loin en termes humain et créatif. On a embarqué en plus les différentes équipes soignantes. Nous avons mis en place un défilé haut en fumigènes colorés et en musique à l’intérieur des rues de l’hôpital avec des marionnettes géantes, des vaisseaux intergalactiques, des géants monstres volants, tout un tas de trucs pouvant se déplacer, une horde roulante fantastique.

Des enfants qui ne s’amusaient plus s’en sont donné à cœur joie…

Le bâton a été transmis.


Quels sont tes projets à venir ? As-tu des envies ou des rêves que tu aimerais concrétiser ?

Cette année, j’ai concrétisé un rêve en allant avec mon installation « L’Extravagant Tourne Chatouille et ses Pious Pious », qui transforme les gens en oiseaux, à la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris. Endroit merveilleux consacré à la « vulgarisation scientifique », principe que j’affectionne tout particulièrement.

Pour cette année, je vais finaliser un décor pour un spectacle jeune public où je me suis bien amusé autour des Animaux de Brême.

Animaux taille réelle pouvant s’assembler petit à petit devant le public, éléments-instruments musicaux cachés au milieu.
Un âne portant sur lui un chien, portant sur lui un chat, portant sur lui un coq, un totem de 3 m.

Avec l’association Interstices et le service de pédopsychiatrie de l’hôpital Sainte-Marie à Clermont-Ferrand, nous imaginons un nouveau projet pour les enfants et les ados.

Un projet dans ma commune se profile autour de sculptures mécaniques et poétiques avec l’eau de ruissellement.

Avec l’asso Dis Moi, nous nous occupons de personnes en précarité se sentant loin de la culture, et nous sommes en train de faire un spectacle avec tous les ateliers.

Cet automne, nous allons finaliser un grand phénix qui peut s’élever haut, haut, haut…

Je suis en train de démarrer une nouvelle machine-installation qui me donne beaucoup à réfléchir et à rêver.


Les rêves : des fois, en formulant les choses, elles peuvent arriver.

Alors voilà !!!

J’aimerais pouvoir aller intervenir avec mes ateliers de « bidouillage créatif » dans d’autres pays, avec des enfants, des ados, des adultes, d’autres cultures, dans des endroits où la joie s’est fait la malle, et réenchanter les choses et les gens avec le faire ensemble, la création à tout va, et les objets du pays. Se déplacer juste avec des outils, à la manière de Clowns Sans Frontières et de leur nez rouge.

J’aimerais faire fonctionner mon Tourne Chatouille (qui fonctionne sans électricité) dans de beaux endroits de nature (clairière, forêt, lac, montagne, dune…) où il faudrait marcher pour nous trouver. Nous l’avons fait quelques fois et c’était magique !!!

Avec mon équipe, nous rêvons aussi de voyager et d’aller transformer en oiseaux des enfants d’autres cultures, dans d’autres pays.


Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui veut se lancer dans la création à partir de récupération ou développer un atelier comme le tien ?

Pour moi, les choses sont venues très très progressivement, je n’ai pas eu l’impression de me « lancer ». Je me suis toujours dit que même si un jour je n’arrivais plus à gagner ma vie avec mes créations, j’aurais toujours ce truc de création vissé au ventre, toujours. J’aime créer, inventer, partager quoi qu’il arrive, depuis toujours et pour toujours, c’est ma façon d’être au monde.

Je considère la vie avec beaucoup de gratitude car pouvoir vivre de sa création n’est pas simple. Quoi qu’on en dise, on est tributaire du regard des autres, qui aiment ou qui n’aiment pas. C’est donc incroyable de pouvoir vivre de mes créations depuis 20 ans.

Je pense donc qu’il faut être prêt et avoir envie de créer quoi qu’il arrive. Dans un premier temps, ne pas relier sa création à une activité marchande, établir un dialogue silencieux avec soi-même, prendre le temps de se rencontrer, se faire pousser, devenir un arbre et fleurir pour la vie.

Jean-Marc Méléard
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