Portrait de Maker #142 : Suzie Leduc

Suzie Leduc, artiste plasticienne connue sous le nom d’artiste Suzan Suzie, sculpte la réalité avec passion. Son parcours en sculpture, du CAP Sculpture ornementale à la Mention complémentaire MADe en Métiers d’Art, Design et Expérimentations, a influencé sa passion pour donner forme à la matière. Elle explore la douceur du bois d’olivier et la flexibilité de l’argile pour créer des expériences sensorielles captivantes. Ses œuvres, comme « Troisième Œil » et les « Mandalador, » explorent l’illusion, la vérité, et les sens, incitant à la réflexion. Suzie met l’accent sur les interactions humaines, favorisant les échanges et les points de vue. Son travail artistique continue d’évoluer, marquant l’union entre art et artisanat pour donner une nouvelle dimension à ses sculptures.

Qui es-tu ?

Je m’appelle Suzie Leduc, je suis artiste plasticienne, et mon nom d’artiste est Suzan Suzie. Je vis dans la campagne de Rennes quand je ne suis pas sur les routes du Nomadistan avec mon camion !

Peux-tu nous parler de ton parcours académique en sculpture, depuis tes débuts en CAP Sculpture ornementale jusqu’à ta récente Mention complémentaire MADe en Métiers d’Art, Design, et Expérimentations ? Comment ces formations ont-elles influencé ta carrière artistique et créative ?

Les études ! J’ai commencé à travailler le bois en ébénisterie. La découverte de l’artisanat et du bois m’a permis d’ensuite intégrer le CAP en sculpture ornementale dans le même établissement dans le Morbihan à Auray.

Bien que l’ébénisterie comprenne aussi cette notion, c’est dans la sculpture que j’ai vraiment découvert ce qui me passionne : donner forme à la matière en la « modelant, » en entrant dans le monde des trois dimensions. En ébénisterie, il faut certes savoir tailler le bois là où il faut pour qu’un assemblage fonctionne, par exemple. Alors qu’en sculpture, c’est plus une question de ressenti. Les millimètres à grappiller sont en lien avec ce qu’on souhaite obtenir, pas avec un tenon ou une mortaise ! Bien sûr, je ne parle pas de la sculpture de style ou de patrimoine, là où on ne rigole pas avec l’interprétation personnelle.

J’ai ensuite intégré l’École Boulle à Paris pour pouvoir continuer à me former à la sculpture sur bois. Là-bas, j’ai intégré la dernière promotion du DMA (Diplôme des Métiers d’Arts) après leur propre mise à niveau en Métiers d’Art (qui a aussi disparu). Aujourd’hui, cette formation correspond au DNMADE, diplôme national des métiers d’art et du design, mais elle a perdu près de la moitié des heures d’atelier.

Ce diplôme m’aura permis de mettre en lien les compétences acquises en ébénisterie, la réflexion des arts appliqués, une sémantique, et le lot de questions que je souhaitais soulever. Cette année de diplôme, riche en émotions car l’année de la pandémie et du confinement, n’aura pas été la dernière ! Je suis restée un an de plus, au sein de la dernière promotion, encore du MADe, mention complémentaire Métiers d’Art, Design et Expérimentations, là où j’ai pu parvenir à finir et voir enfin venir au jour ma sculpture-machine.

Cette école m’a ouvert une voie de réflexion en lien avec la création. Quel est le sens, le discours, les questions, et émotions ? Mais je tends aussi à me détacher de ce chemin, en m’autorisant à moins intellectualiser mes élans créatifs.

Le bois tient une place fondamentale dans ton travail. Quelles sont les raisons de ton choix en faveur de ce matériau par rapport à d’autres options ?

Le bois a effectivement une place privilégiée dans mon travail, en raison de la douceur de sa texture une fois que j’ai passé des heures à le poncer jusqu’à ce qu’il soit bien poli, de la beauté de son veinage qui se révèle lorsque je le creuse, des possibilités de jouer avec lui en anticipant les méthodes de préparation, et de ses odeurs… Il témoigne de la richesse de la beauté du vivant. J’attache une grande importance à sa provenance et au marché auquel je participe.

J’apprécie également énormément travailler l’argile. C’est un matériau très agréable au toucher et dans sa pratique. Contrairement au bois, on peut en ajouter si on en a trop enlevé. C’est donc une pratique douce pour le cerveau et le cœur !

Peux-tu nous parler de ta collaboration fréquente avec le Naia Museum ? Comment as-tu initialement rencontré le musée, et quelles ont été les principales contributions de ces expériences à ta carrière artistique ?

J’ai découvert et suis entrée pour la première fois dans l’antre du Naia Museum à l’été 2020, grâce à des amis locaux qui connaissaient ce lieu et m’en avaient parlé. Les machines de Pit m’ont immédiatement touchée. J’étais alors en plein travail sur la réalisation de mon projet de diplôme, qui avait été retardé par la pandémie, et j’étais un peu découragée car je ne voyais pas la fin de ce projet.

Je travaillais sur le cinétisme, et me retrouver face aux créatures animées de Pit m’a redonné espoir. Surtout, étant très attirée par les courbes organiques et élancées du style Art-Nouveau, j’ai été émerveillée par ses Kinetic mecaniK.

Pit a découvert mon travail sur les réseaux sociaux après ma première exposition publique à l’été 2022 lors du festival Ethereal Decibel. Nous avons pu nous rencontrer, et depuis nous avons exposé nos travaux conjointement lors de plusieurs événements, notamment à Nantes Maker Campus cet été. C’est lors du festival Court-Métrange de cette année en septembre à Rennes que j’ai eu l’occasion d’exposer mon travail en partenariat avec le Naia Museum pour la première fois. J’espère que nous aurons d’autres opportunités de collaborer lors de futurs événements, car pour moi, c’est un honneur d’être associée à cet univers artistique qui mêle la curiosité, l’imaginaire et le fantastique.

« Troisième Oeil » est une sculpture-machine captivante qui ouvre les portes de l’illusion. Peux-tu nous plonger davantage dans ce projet en expliquant son concept, ses éléments-clés, et les réflexions qu’il suscite chez les spectateur.ice.s ?

« Troisième Œil » est effectivement une sculpture qui invite les spectateurs à pénétrer dans le monde de l’illusion, questionnant ainsi la notion de vérité dictée par nos croyances, influencée par la perception de nos sens.

Cette lunette astronomique à illusions d’optique aspire à nous transporter dans l’univers fractal. Elle crée une mise en abyme qui rapproche l’infiniment grand du macrocosme de l’infiniment petit du microcosme, tout en restant à portée de main, à la portée de nos yeux, qui eux-mêmes composent cette réalité.

La sculpture métaphorise nos pupilles, de minuscules trous noirs qui prétendent être le centre de notre propre galaxie. Avec le miroir réfléchissant, l’anamorphose des deux sculptures en bois d’olivier et le cinétisme électrique qui anime ces œuvres, le spectateur est immergé dans un mandala hypnotique qu’il peut manipuler à sa guise. Il a le pouvoir de s’illusionner et de s’hypnotiser, reflétant ainsi les illusions quotidiennes créées par nos sens et nos croyances. Car si l’illusion peut nous faire tourner en rond, si la désillusion peut être vertigineuse, l’illusion nous garde d’abord en mouvement, nous maintient vivants.

Comment ta philosophie artistique se reflète-t-elle dans tes créations, notamment en ce qui concerne la façon dont elles explorent les concepts d’illusion, de vérité, et la manière dont nos croyances et nos sens influencent notre expérience artistique ?

J’aime questionner nos croyances, nos certitudes et notre conception de la vérité, afin de tisser des liens en changeant de perspectives, ce qui permet d’alterner nos points de vue et d’ouvrir la discussion sur nos interprétations, propres à chaque instant et très personnelles. Les interactions humaines occupent une place centrale dans mon travail. J’aime écouter les gens partager leurs perceptions et leurs expériences, créant ainsi des opportunités pour discuter de nos interprétations individuelles.

Mon travail est également nourri par l’observation des formes, des proportions et des géométries cachées, répondant à mon désir de métaphore et de poésie.

Quant aux « Mandalador », ce sont des peintures réalisées sur un tour grâce à la technique du Spin-Art. Cette pratique me permet de m’approprier la dimension méditative et rituelle du Mandala, tout en explorant l’équilibre entre une esthétique composée et un geste unique. Toutefois, je suis la seule à vivre l’illusion créée lorsque les peintures tournent et se révèlent.

Tes œuvres, comme « Troisième Oeil » et les « Mandalador », intègrent une variété de matériaux et de technologies pour créer des expériences sensorielles uniques. Peux-tu expliquer comment tu choisis ces matériaux et comment tu les combines pour donner vie à tes idées artistiques ?

Pour « Troisième Œil », j’ai choisi le bois d’olivier en raison de la beauté de son veinage et du camaïeu de couleurs qu’il offre. Mon intention était d’évoquer l’iris d’un œil, et j’ai souhaité mettre en avant une essence de bois qui possède déjà une texture magnifique, sans avoir besoin de la modifier. Cependant, chaque choix a ses conséquences, et j’ai privilégié l’esthétique au confort de travail. L’olivier est un bois très dense, ce qui le rend difficile à travailler. J’ai dû réaffûter toutes mes gouges, car elles n’étaient pas adaptées à ce bois !

En ce qui concerne les autres matériaux de la machine, je les ai choisis en fonction de leurs aspects techniques et mécaniques. Chaque élément a été évalué en fonction de la nécessité qu’il devait remplir, ce qui a rapidement orienté mes choix. Par exemple, j’ai opté pour du plexiglas plutôt que du verre pour le tube du télescope, car le verre aurait été trop lourd, fragile et coûteux.

Pour ce qui est des peintures « Les Mandalador », je choisis divers supports qui se prêtent bien à la technique du spin-art, variant entre le papier, les toiles et les ardoises. Le choix des matériaux ne se limite que rarement à des considérations esthétiques, car d’autres impératifs entrent en jeu, nous obligeant à faire des compromis.

Comment as-tu évolué en tant qu’artiste depuis tes premiers projets jusqu’à aujourd’hui, et quelles sont les influences ou expériences qui ont marqué cette évolution dans ton travail artistique ?

Grâce aux expositions, l’expérience de « Troisième Œil » s’est enrichie avec divers scénarios d’utilisation. Le télescope peut être en mouvement autonome, mettre ses commandes à disposition des spectateurs, ou être contrôlé par moi, parfois même en musique. J’embarque ainsi les spectateurs dans un voyage sensoriel qui combine à la fois l’image et le son. Cette dernière option me permet de transformer la machine en un support de performance, créant à chaque fois un moment de partage unique. Dans ces moments, le voyage devient plus captivant, car il sollicite plusieurs sens et les fait interagir.

J’aime  travailler sur des projets qui exigent une certaine intimité entre le spectateur et ce qui est à voir.

Sur quoi travailles-tu en ce moment et quelles sont les actualités à venir ?

Je continue encore et toujours à vouloir faire évoluer cette machine, notamment sur l’écriture d’un programme pour qu’il soit automatisé et donc autonome.

Et puis d’autres machines gravitent dans ma tête… Je travaille aussi sur les diatomées. J’ai à cœur de mettre en lumière ces phytoplanctons nanoscopiques aux formes géométriques magnifiques. Je tends à lier mes deux fondamentaux, l’art et l’artisanat en donnant une fonction à mes sculptures.

Jean-Marc Méléard
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