Engagé dans l’économie circulaire et l’écosystème des fablabs rennais, Quentin Orhant a joué un rôle clé dans la création de L’Atelier Commun, un Fablab centré sur l’écologie et le réemploi. En tant qu’artisan du numérique, Maker, écolo, geek, développeur, et artiste, Quentin a acquis une expertise en conception d’objets et de services éco-conçus, et il travaille aujourd’hui en tant que freelance. Son parcours l’a conduit à fusionner les domaines de l’écologie et du numérique, notamment en recyclant des déchets plastiques en filaments pour imprimante 3D, et en lançant des projets de coopération internationale axés sur la réutilisation des déchets plastiques. Grâce à ses compétences en conception et en design graphique, il attache une grande importance à marier esthétique et durabilité. Actuellement, Quentin travaille sur la création d’une balise pour l’étude des tortues marines tout en encourageant la fabrication d’objets à partir de déchets plastiques.
Qui es-tu ?
Je suis un Maker engagé dans l’économie circulaire et l’écosystème des fablabs rennais. J’ai notamment contribué à la création d’un Fablab dédié à l’écologie et au réemploi sur Rennes, L’Atelier Commun. Aujourd’hui je suis indépendant et
travaille sur des projets entre écologie et numérique.
Plus en détail, je me dirais artisan du numérique, écolo, geek, Maker, développeur, artiste … pas facile de se définir quand, dans un monde en pleine mutation, son métier change au rythme des projets.
En tant que Maker et développeur, peux-tu nous raconter ton parcours et nous dire ce qui a suscité ton intérêt pour ces domaines d’activité ?
Après des études dans l’énergie et l’environnement, j’ai travaillé en tant que médiateur scientifique à l’Espace des Sciences de Rennes. En parallèle, j’ai découvert les fablabs et le potentiel de la fabrication numérique.
J’ai réalisé mon premier projet en 2014, un appareil photo imprimable en 3D, téléchargé des milliers de fois sur Thingiverse
(www.thingiverse.com/thing:531244), ce qui m’a beaucoup motivé pour la suite.
J’ai été très surpris et attiré par le côté subversif des fablabs, notamment comme alternative désirable au modèle actuel de production en série, vendu uniquement par la force du marketing. J’ai découvert une autre manière de produire et de consommer : la création d’objets et de services par les utilisateurs. La fabrication distribuée, le DIY, le design-thinking, l’open source, la formation pair-à-pair… Toutes ses nouvelles manières de faire m’ont rapidement paru être des solutions pour un futur un peu plus enthousiasmant.
Alarmé depuis longtemps par le changement climatique, j’ai rapidement cherché à provoquer cette rencontre entre écologie et numérique. Faire en sorte que le numérique et la fabrication deviennent des moyens et non des fins en soi.
C’est ainsi qu’est née l’idée de créer L’Atelier Commun, un fablab dédié à l’écologie et au réemploi sur Rennes. L’ambition depuis le début était d’associer un atelier et une ressourcerie pour permettre à tous de créer, réparer, transformer à partir d’objets et de matériaux issus du réemploi. Le projet a ouvert ses portes en septembre 2019 puis a fusionné avec l’association La Belle Déchette en avril 2023. Nous préparons aujourd’hui le déménagement pour arriver début 2024 au sein des « Halles en commun », dans le quartier de La Courrouze.
Mes compétences en programmation et en fabrication numérique ont principalement été acquises en autodidacte et en formation pair-à-pair. En septembre 2022, après avoir arrêté la coordination de L’Atelier Commun, j’ai repris une formation de développeur web avec Le Wagon avant de me lancer en freelance. En février 2023 je commençais ma première mission…
Comment ton expertise en éco-conception d’objets et de services se manifeste-t-elle dans tes projets en tant que développeur et Maker, et comment cette approche éthique et écologique influence-t-elle ton travail ?
Je pense que le mouvement impulsé par les fablabs est déjà une réponse aux problèmes environnementaux, mais sûrement de par ma sensibilité à cette thématique j’ai rapidement fait le choix de fortement orienter mes projets dans cette direction. L’écoconception et l’analyse de cycle de vie, acquises pendant mon parcours universitaire, m’aident aujourd’hui à avoir de bons réflexes pour éviter les fausses solutions, ainsi que des bases théoriques pour analyser et limiter les impacts.
Dans le développement web, il est aujourd’hui facile d’optimiser un service en ligne. Par exemple, avant de stocker son site internet sur un serveur directement branché à un panneau solaire (solar.lowtechmagazine.com), on peut déjà commencer par supprimer les fonctionnalités inutiles, et enfin avoir recours à des solutions techniques simples (optimisation des images, minification du code, choix de l’hébergeur, …). Ce n’est pas si complexe d’avoir la note A de l’ecoindex (ecoindex.fr).
Il faut toujours penser à la sobriété avant l’efficacité. Cette manière de répondre aux enjeux actuels, propre à l’association Negawatt (negawatt.org), s’applique aujourd’hui à tous mes projets.
Pour la fabrication d’objets, le mouvement low-tech (lowtechlab.org) lance une dynamique très inspirante. Associées à l’économie-circulaire et à l’open-source, ces nouvelles manières de faire permettent de réagir face aux changements, notamment à l’épuisement des ressources naturelles.
Quelles expériences et compétences as-tu acquises grâce à ton rôle de coordinateur et fabmanager à L’Atelier Commun, ainsi que dans ton travail en tant que Maker et développeur freelance, et comment ces expériences ont-elles influencé tes projets liés à l’éco-conception et à la durabilité ?
Dans un fablab, lors d’une animation ou d’un hackathon, je me nourris de la diversité des points de vue, de ces moments de partage et d’intelligence collective. Ces expériences m’ont permis d’affiner ma compréhension, mon approche, mon discours, pour sensibiliser et mieux accompagner les publics dans leurs apprentissages.
Une chose importante, que j’ai mis du temps à intégrer, est la notion d’indulgence envers moi-même et envers les autres. J’entends par là qu’il est difficile de vivre pleinement en accord avec ses valeurs, et que lorsque nos actes ne sont pas à la hauteur de nos valeurs nous pouvons ressentir de la culpabilité qui nous empêche d’être en mouvement. L’important c’est de faire, même si ce n’est pas parfait, même si ce n’est que le début, même si souvent on se trompe.
Pour autant il faut aussi faire attention avec l’action individuelle et les petits gestes, ces quelques 25% des efforts à fournir
(https://www.carbone4.com/publication-faire-sa-part), surtout si on ne prend pas en compte les spécificités locales ainsi que les disparités économiques et sociales. L’effort demandé ne devrait pas être le même pour tous, on sait par exemple que ceux qui polluent le plus ont souvent le plus de moyens. Pour moi la lutte pour la protection de l’environnement doit aussi se faire sur le plan économique et social.
Dans tout ça, pas facile de trouver la ligne entre pouvoir d’agir et indignation.
Parmi tes réalisations, lesquelles reflètent le mieux ton expertise en éco-conception d’objets et de services ?
Entre 2020 et 2022, j’ai initié le projet ecofab, qui consiste à la conception et à la fabrication d’un système de recyclage des déchets plastiques en filaments pour imprimante 3D.
En plus d’apporter une solution locale et citoyenne à la gestion de certains déchets, le projet ecofab vise à favoriser une compréhension globale des enjeux du traitement des déchets et faciliter ainsi l’adoption de bonnes pratiques.
En recyclant soi-même, on comprend la complexité de leur traitement, les limites inhérentes au recyclage et leur destination finale : dans les sols, les océans et partout sur la planète…
En août 2022, j’ai eu la chance de passer un mois au Bénin, dans le cadre du projet de coopération internationale Maker Nord-Sud. Avec l’aide des Makers du Blolab de Cotonou, nous avons reproduit les machines, collecté des plastiques et initié une filière de recyclage des déchets plastiques.
Peux-tu nous parler de tes compétences en conception d’objets et en design graphique, et comment les appliques-tu dans tes projets ?
Je dirais que la meilleure manière d’opérer un changement durable est de le faire pour une alternative désirable, et en ce sens l’esthétique peut grandement y participer.
La plupart des projets de fabrication nécessitent de la modélisation 3D ou du dessin vectoriel, j’apporte beaucoup de soin à cette phase, car je trouve qu’il est tout aussi important de soigner la forme que le fond.
Pendant la phase de prototypage, il est aussi important de multiplier les échanges avec les utilisateurs finaux. Il faut savoir se questionner, tester plein d’idées, faire plein d’erreurs, c’est l’avantage de la fabrication numérique !
Quel est le projet dont tu es le plus fier ?
Mon premier projet au Labfab de l’EESAB de Rennes, l’appareil photo imprimable, restera mon projet de cœur. Et même si ça fait longtemps que le mien n’a pas été utilisé, il continue de vivre sa petite vie sur internet !
Peux-tu partager quelques détails sur ton travail actuel et sur les projets que tu as en préparation pour les mois à venir ?
Depuis février dernier, je travaille pour la fondation Octopus (octopusfoundation.org) à la conception d’une balise permettant l’étude des tortues marines (quentino.io/remora-balise-pour-tortues).
Testée pendant l’été 2023, le premier prototype permet de filmer et enregistrer les données d’une centrale inertielle et d’un capteur de pression et température. Ces données permettront aux scientifiques associés à la fondation de mieux comprendre les comportements de ces précieux animaux marins.
En parallèle de ce projet, je cherche à réaliser des workshops autour des machines du projet écofab, par exemple avec des étudiants en école de design. Ces ateliers seraient l’occasion de partager et expérimenter de nouvelles manières de créer des objets à partir des déchets plastiques.
Aussi, des ateliers réemploi s’organisent avec La Belle Déchette, et quelques ateliers low-tech avec le Climate Change Lab devraient aussi avoir lieu dans les prochains mois sur Rennes et ses environs.