Portrait de Maker #62 > Quentin Bouquin du collectif Makers For Life

Initié à Nantes par un trio d’entrepreneurs Nantais : Quentin Adam (Ceo Clever Cloud) Baptiste Jamin et Valerian Saliou (Co-fondateurs Crisp) et immédiatement rejoint par Emmanuel Feller, Makers For Life regroupe plus de 250 personnes autour d’un collectif de bénévoles et d’un consortium d’organisations publiques et privées dans le but de concevoir et d’industrialiser MakAir, un respirateur artificiel open source dédié au traitement du COVID-19 et adapté aux besoins des médecins réanimateurs. Parmi elles, Quentin Bouquin, de QB Maker (voir Portrait de Makers #57) a répondu présent pour participer à cette folle aventure humaine en mettant à contribution du collectif et du projet : ses machines, son expertise et son savoir-faire dans le domaine de l’impression 3D.

Développé par une équipe constituée de plusieurs ingénieurs, MakAir est un respirateur artificiel open source destiné au traitement du COVID-19. Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler sur ce projet ?

Face à l’urgence sanitaire liée à la pandémie de COVID-19, le collectif français « ​Makers for life ​ ” est né de l’initiative d’entrepreneurs nantais, de Makers, de chercheurs, de professionnels de santé et d’ingénieurs.

Travaillant dans le domaine de l’impression 3D avec mon entreprise de prototypage rapide QB Maker, j’ai été contacté par Quentin Adam l’un des fondateurs du projet pour mettre à disposition mes compétences et mes imprimantes 3D. Quand il m’a présenté l’initiative de venir en aide aux hôpitaux en concevant un respirateur artificiel, je lui ai proposé d’aider pour l’impression des prototypes et le dépannage des imprimantes. C’est comme ça que je me suis retrouvé à être le fabmanager du projet.

Quelles sont ses particularités, ses problématiques ?

Le MakAir est un respirateur artificiel simplifié exclusivement dédié au traitement de patients atteint du covid-19. C’est un projet 100% open source et non-commercial dont le coût de production est évalué à 1 000 € (dix fois moins cher que les respirateurs traditionnels).

Il ne consomme aucun matériel médical : en cette période de crise, l’approvisionnement est un vrai sujet. Des valves aux moteurs en passant par les filtres et les commandes, tout a été conçu et réalisé en partant de matières brutes et composants du marché en utilisant des méthodes de prototypage rapide.

La problématique la plus importante était le temps, il fallait réussir à concevoir rapidement un appareil efficace et qui respecte le cadre réglementaire pour assurer au maximum possible la conformité de notre dispositif.

Enfin la logistique en période de confinement à clairement été notre plus grande difficulté.

L’enjeu lorsque l’on développe un produit complexe comme un respirateur artificiel est de respecter les normes et les exigences des dispositifs médicaux. À partir de quel cahier des charges et avec quelles ressources avez-vous travaillé ?

Dès le départ, le contact avec des dizaines de chercheurs et de professionnels de l’Université de Nantes a permis d’assurer une bonne compréhension des besoins des patients et des médecins réanimateurs.

La première clé c’est la contribution directe des réanimateurs hospitaliers. Nous ne nous sommes pas lancés dans le projet sans avoir impliqué et écouté rigoureusement les professionnels de santé.

La seconde clé, c’est une volonté affirmée, avec des experts du secteur dans l’équipe, de concevoir un dispositif le plus possible en conformité avec les exigences des dispositifs médicaux et organisations de santé (Directives européennes DM et protocole de recherche clinique à valider avec l’ANSM)

Le projet bénéficie de l’expertise scientifique des Professeurs Erwan L’HER (CHU de Brest, CESIM, médecin réanimateur, conseil scientifique) et Pierre Antoine Gourraud (CHU de Nantes, Innovation, anesthésie, réanimation) pour n’en citer que quelques-uns.

Tous ont été intégrés à la démarche de validation des hypothèses et postulats médicaux, et le sont également dans la phase d’évaluation des prototypes.

L’impression 3D a joué un rôle important dans le développement du MakAir et sa conception open source permet d’imprimer plusieurs pièces en 3D. Quels sont les atouts que cette technologie apporte pour un projet comme celui-ci, quelles sont les pièces pouvant être imprimées en 3D ?

L’un des atouts de l’impression 3D, c’est d’avoir une grande flexibilité de fabrication, pas besoin de moule d’injection plastique, il suffit de modifier le modèle 3D de la pièce et de la relancer en impression.

L’avantage avec ce procédé c’est qu’il nous a été possible de travailler rapidement en lançant plusieurs designs de pièces en parallèle sur les imprimantes 3D et ainsi pouvoir améliorer les pièces en continu.

L’impression 3D raccourcit énormément le délai entre la conception et la fabrication d’un prototype. Il est possible de modifier et d’obtenir en quelques heures une nouvelle pièce ! 

La majorité des pièces mécaniques du MakAir sont imprimées en 3D, comme : 

•            Les connecteurs pneumatiques d’entrée et sortie d’air

•            La valve de pression

•            Le mélangeur d’oxygène (venturi)

•            La pièce de maintien du souffleur d’air

•            Le filtre de la machine

Quels types de machines utilisez-vous pour produire les pièces et avec quels matériaux ?

Au démarrage du projet, nous ne disposions que de quelques imprimantes, puis un élan de solidarité s’est mis en place pour nous en prêter : des particuliers, des professionnels ou encore des écoles, ont mis à disposition leur machine et du matériel très rapidement. On a reçu toutes sortes d’imprimantes : de celles en kit personnalisé aux machines professionnelles. C’est principalement des machines FDM (dépôt de fil fondu) que nous avons utilisées, car très répandus et adaptés à nos besoins de prototypes fonctionnels.

Concernant les matériaux, c’était en fonction des stocks que nous avions à disposition, mais principalement du PLA car compatible avec toutes les machines et facile à imprimer. Nous avons aussi utilisé du PETG pour certaines pièces nécessitant une plus grande solidité.

Avez-vous eu recours à des procédés d’impression 3D spécifiques ? Si oui, lesquels et dans quel but ?

Oui effectivement, nous avons eu besoin d’utiliser des procédés d’impression 3D spécifiques. Par exemple lors de la phase d’industrialisation, nous avons eu recours au frittage de poudre pour réaliser des pièces avec une grande précision dimensionnelle.

Nous avons aussi eu besoin de réaliser des pièces complexes à l’aide de la technologie SLA (stéréolithographie) comme la venturi (le mélangeur d’oxygène) afin d’obtenir un meilleur aspect de surface.

À ce jour, les phases de tests précliniques sont-elles concluantes ? Si oui, quelles sont les prochaines étapes ?

Nos prototypes ont été mis au banc d’essai d’un protocole de tests techniques élaboré par des spécialistes de la SFAR (Société Française d’Anesthésie et de Réanimation) SRLF (Société de Réanimation de Langue Française) SFMC (Société Française de Médecine de Catastrophe) et opéré par des ingénieurs biomédicaux indépendants du projet selon la règle établie. Les résultats des premiers tests sont très satisfaisants.

Un essai clinique porté par le CHU de Nantes est prévu sur 2 puis 15 patients selon un protocole validé par l’ANSM. L’Agence délivrera à l’issue des essais une dérogation (R52.11-19) en l’absence du marquage CE autorisant l’utilisation du MakAir au sein des d’établissements de soins.

Ce dispositif n’a pas été conçu pour traiter de multiples pathologies et n’a pas été conçu pour durer 15 ans : MakAir a été conçu pour sauver des vies dans le cadre de la lutte contre le COVID. Rien d’autre.

Que retiendrez-vous de cette expérience ?

Tout d’abord, cette folle aventure humaine et de superbes rencontres au sein du collectif Makers for Life.

C’était impressionnant de voir cette mobilisation collective inédite autour de ce projet solidaire, soutenu par plus de 250 bénévoles d’horizons différents.

Je suis épaté par la prouesse technique du collectif et d’avoir réussi à concevoir en 3 semaines un dispositif médical fiable malgré des contraintes fortes, telles que le confinement ou encore le manque de temps.

Et enfin je salue cette mobilisation de Makers du monde entier qui réussissent à prouver, à travers leurs différentes actions et l’intelligence collective, que la solidarité et l’entraide sont l’une des meilleures armes face aux temps de crise.

Jean-Marc Méléard
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