Portrait de Maker #182 : Carine Cailleau

Carine Cailleau est une créatrice ligérienne engagée, passionnée par l’éco-conception et l’accessibilité culturelle. Forte d’un parcours débuté à 16 ans dans l’artisanat décoratif, elle a évolué dans le spectacle vivant, notamment aux Machines de l’île et au Puy du Fou. Consciente des impacts environnementaux du secteur, elle fonde La Luciole, collectif dédié à la scénographie responsable, mêlant réemploi, création artistique et engagement social. Elle y développe des décors éco-conçus, des formations, et favorise l’accès à la culture en milieu rural via des résidences et spectacles. Son approche collaborative repose sur une gouvernance partagée et un esprit Maker.

Qui es-tu ?

Je suis une Ligérienne créative, entreprenante et déterminée à travailler collectivement en faveur de l’écologie et de l’accessibilité culturelle.

Quel a été ton parcours, et comment en es-tu venue à repenser la façon dont on conçoit les décors ?

J’ai commencé à travailler à l’âge de 16 ans chez un artisan décorateur. J’ai exercé plusieurs métiers autour de la peinture et de la construction, avant de poursuivre ma route dans le décor de spectacle il y a dix ans. Les Machines de l’île, la compagnie La Machine, le Puy du Fou, Métalobil… J’ai rapidement été confrontée à des créations souvent trop énergivores, éphémères, et parfois dénuées de sens.

Portant au quotidien des valeurs environnementales fortes, j’ai réfléchi à une manière d’exercer mon métier sans rougir. Aujourd’hui, je suis heureuse du chemin plus vertueux que nous prenons avec La Luciole.

Y a-t-il eu un déclic écologique qui a changé ta manière de travailler ?

Oui, un chantier en particulier, mais surtout les difficultés que je rencontrais dans les différents ateliers où j’ai travaillé pour mettre en place de bonnes pratiques. Ce qui m’a poussée à sauter le pas et à créer La Luciole, c’est la naissance de ma fille. Il était devenu hors de question de continuer à exercer mon métier de cette manière : je devais faire de mon quotidien quelque chose qui rende son futur plus désirable.

Comment est née La Luciole, et qu’est-ce que ce collectif propose concrètement ?

La Luciole est née de la volonté de rendre la scénographie plus vertueuse et de faire évoluer les pratiques dans ce secteur. Nous nous imaginons comme un pôle technique d’éco-scénographie, complémentaire des ressourceries spécialisées.

Le collectif propose des prestations d’éco-conception et d’éco-fabrication de décors, ainsi que des actions de formation et de médiation autour de l’éco-conception et de l’économie circulaire.

Bientôt, nous espérons pouvoir accueillir des compagnies en résidence artistique dans notre atelier, pour les accompagner de manière immersive dans la création de décors plus responsables.

Cerise sur le gâteau : en partenariat avec les communes rurales qui accueillent les artistes, et avec les artistes eux-mêmes, nous souhaitons proposer des spectacles gratuits ou à prix libre en sortie de résidence, au profit des habitants.

Comment arrives-tu à mêler artisanat, création artistique et engagement social dans ce projet ?

La Luciole est née d’une envie de mieux faire : c’est tout un état d’esprit qui accompagne la démarche écologique. Le développement durable passe aussi par la préservation de l’énergie humaine. Créer un environnement de travail bienveillant, au sein d’une structure employeuse, renforce la créativité et l’initiative. Je tenais à plus d’horizontalité et de partage dans les pratiques professionnelles.

Par ailleurs, ayant toujours vécu en zone rurale, j’ai pu constater à quel point l’accès à la culture y est difficile. Cela tient à l’éloignement géographique, bien sûr, mais aussi aux contraintes économiques et sociales. Trop peu de communes peuvent accueillir du spectacle vivant. Pourquoi la culture resterait-elle cantonnée aux villes ?

J’ai donc imaginé un dispositif qui permette à la fois d’accompagner des structures dans la création de décors éco-conçus, et de favoriser l’accès à leurs œuvres en milieu rural, grâce à des représentations en sortie de résidence. Notre volonté d’accueillir bientôt des compagnies au sein de La Luciole contribuera à créer des passerelles entre artistes et territoires souvent oubliés, pour que la culture circule mieux, partout.

En quoi l’éco-conception a-t-elle changé ton regard sur les matériaux et sur la fabrication en général ?

Il existe encore trop de confusion entre recyclage et réemploi. Le recyclage n’est pas une solution miracle : il nécessite de l’énergie, des apports de matière, du transport… Un bon déchet est un déchet qui n’existe pas. Le réemploi, associé à une bonne conception de l’œuvre – ou d’un produit en général – constitue une bien meilleure garantie pour gérer la fin de vie des objets, tout en réduisant drastiquement le gaspillage de matières et d’énergie.

Comment s’est formée l’équipe de La Luciole ? Et comment vivez-vous la gouvernance partagée au quotidien ?

J’ai tout simplement parlé du projet à des collègues partageant les mêmes envies de mieux faire, et de fil en aiguille, j’ai fait de belles rencontres. Aujourd’hui, nous sommes neuf adhérents dans l’association.

Nous avons mis en place une gouvernance collégiale, avec un système de groupes de travail responsables de différents sujets. Tout cela est nouveau pour nous, et la gouvernance partagée n’est pas innée : elle se travaille au quotidien. Nous avons été accompagnés par les Ecossolies, la Ligue de l’enseignement, et nous envisageons de faire appel à un·e facilitateur·rice pour aller plus loin. C’est extrêmement motivant, et tout le monde est porté par cette envie de partage.

Quelles sont les principales résistances que tu rencontres encore dans le milieu culturel face à ces nouvelles pratiques ?

Il y a encore des réfractaires au réemploi, ou des personnes qui confondent réemploi, récup’ et recyclage. Mais globalement, une grande majorité souhaite améliorer les méthodes de conception scénographique, et de nombreuses initiatives comme la nôtre émergent sur le territoire.

Il y a une véritable acculturation à mener, qui passera par l’engagement concret des différentes parties prenantes du secteur culturel. L’un des principaux enjeux reste la levée des freins administratifs et financiers pour faciliter la démocratisation du réemploi.

Te reconnais-tu dans l’esprit Maker et dans les valeurs du faire ensemble ?

Je me reconnais totalement dans l’idée du faire ensemble. La Luciole est née grâce à l’aide et au soutien d’un grand nombre d’acteurs et d’actrices, et nous travaillons main dans la main avec l’ensemble des parties prenantes de la filière du réemploi et du secteur culturel.

Quels sont tes projets en cours ?

Nous venons de finir deux chantiers très sympas à réaliser. Tout d’abord, un décor éco-conçu et fabriqué à partir de matières issues du réemploi et déclassées sur la quasi-totalité (sauf la visserie) du décor pour le Teatr Piba.

En mai, pour le Château des ducs de Bretagne, dans le cadre de la future exposition sur Hokusai, nous avons réalisé la réfection et la peinture de cimaises issues du réemploi. Les cimaises ont été sourcées au sein même du château par la Ressourcerie Culturelle, conçues par Menu Détail, fabriquées par l’atelier Bille, puis restaurées et mises en couleur par nos soins. Un vrai travail d’équipe.

Nous travaillons actuellement sur divers projets : muséographie, décor de théâtre, événementiel, et même l’aménagement d’un touc-touc prénommé Michel pour une fripe mobile… et pas que !

Jean-Marc Méléard
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