Émeline Delvoye, fondatrice de l’Atelier OUKA à Rennes, est une métallière passionnée qui transforme l’acier en œuvres sur-mesure : escaliers, verrières, mobiliers design et sculptures publiques. Après un parcours riche en arts visuels et théâtre, elle découvre la métallerie à 25 ans et obtient un CAP qui lui ouvre les portes d’univers variés, du nautisme à l’industrie. Depuis 2019, elle met son savoir-faire au service de projets alliant technicité et esthétique. Installée au sein de Comme Un Établi, elle collabore avec d’autres artisans pour créer des pièces uniques, tout en contribuant à dynamiser la scène artisanale locale avec des événements créatifs.
Qui es-tu ?
Je m’appelle Émeline Delvoye. Je suis métallière et je suis à mon compte sous le nom d’Atelier OUKA depuis 2019. Je dessine, conçois et fabrique des objets métalliques. Cela va de l’escalier à la verrière, jusqu’au petit mobilier.
Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’a amenée à te spécialiser en métallerie ?
J’ai passé un CAP en métallerie à 25 ans. Avant ça, j’ai fait des études de cinéma, du théâtre, de la photo… J’ai découvert la métallerie en étant bénévole sur la construction d’un décor de théâtre qui partait à l’international. Toute la structure était en acier, et j’ai trouvé ça fascinant. Après ça, j’ai travaillé quelques mois au chantier naval de mon père (Boréal), où j’ai découvert la soudure aluminium.
Tout cela m’a décidée à passer mon CAP en métallerie, à la base dans le but de travailler dans le spectacle vivant. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai décidé de me donner deux ou trois ans pour consolider mes acquis en travaillant en entreprise. Au bout de ce temps, je me suis lancée et j’ai créé Atelier OUKA.
Quels savoir-faire as-tu acquis en entreprise et comment ont-ils influencé la création de l’Atelier OUKA en 2019 ?
J’ai tellement appris en entreprise ! Que ce soit à Boréal (chantier naval) ou à OMS (entreprise de métallerie).
Les deux étaient bien différents :
Boréal fabrique des voiliers de voyage en aluminium avec une équipe d’une petite dizaine de chaudronniers. OMS, c’est une grosse entreprise de métallerie et charpente métallique. Entre les différents pôles, nous étions une cinquantaine.
J’y ai appris tout d’abord le métier. J’ai eu la chance dans les deux cas d’avoir des collègues incroyables qui m’ont transmis leur savoir-faire. Je pense que c’est ce que je garde de plus précieux de ces expériences. J’ai aussi appris à être rigoureuse, précise et efficace. Il ne faut pas oublier qu’on reste dans un milieu industriel.
Après, ce milieu reste encore malheureusement très masculin. Dans les deux cas, j’étais la seule femme métallière de l’entreprise. Même si mes expériences en entreprises se sont toujours très bien passées, il était temps pour moi de passer à autre chose et de faire de nouvelles rencontres.
Quelles ont été les premières réalisations marquantes ?
Mes toutes premières commandes ont été des structures de scénographie pour le spectacle vivant. Mais le premier gros projet, je dirais que c’est pour Origines, à l’Hôtel-Dieu. J’ai fait le bar extérieur et le comptoir intérieur.
Après, les commandes se sont enchaînées, autant pour des particuliers que pour des professionnels. Et je commence à m’étaler un petit peu partout dans Rennes 🙂
Il y a par exemple les dessertes de La Piste, un meuble de présentation chez M’Enfin, ou encore un nid à chauve-souris dans les Gayeulles. Et dernièrement, j’ai aussi refait tout l’aménagement de la librairie Ty Bull… tome 2.
© Claire Panizzollo
Ton activité s’est étendue du mobilier vers des projets variés comme la scénographie et l’aménagement de boutiques. Comment t’adaptes-tu à ces différents univers ?
C’est ce que j’adore dans mon métier ! Pouvoir faire autant de choses variées et continuer à être surprise par mes clients, c’est tellement amusant.
Je suis passée de moules en inox pour des briques en terre crue à l’aménagement de la librairie Ty Bull. De supports à pièces montées pour les mariages à un escalier. De mobilier design à une tour pour chauve-souris… Jamais je n’avais imaginé la variété des possibilités de projets quand j’ai lancé Atelier OUKA 🙂
Le sur-mesure est au cœur de ton travail. Comment abordes-tu les spécificités techniques et esthétiques de chaque commande ?
Effectivement, chaque projet étant différent, je recommence chaque étape à chaque projet : échanger avec les clients, faire les plans, commander la matière, construire… Mais c’est aussi ce qui est intéressant !
Après, la base reste toujours la même : je reçois des profilés en acier que j’assemble par soudure au semi-automatique (ça semble simple comme ça ! 🙂 ).
Il y a des projets plus intenses que d’autres : un escalier va me demander beaucoup de temps de dessin et de calcul. Une étagère dessinée par un designer va me demander plus de temps de recherches pour trouver les solutions techniques adéquates. Je m’adapte à chaque demande 🙂
Tu travailles avec un large éventail de clients, des particuliers aux professionnels. Comment adaptes-tu ta méthode de travail pour répondre à leurs besoins spécifiques ?
La préparation prend une grande place dans mon travail. Je passe beaucoup de temps à échanger avec mes clients en amont de la fabrication. Ensuite, cela dépend du client.
Si c’est un·e particulier·e, je propose des croquis. Je passe pas mal de temps à échanger pour être sûre de bien comprendre leurs besoins. Je leur demande souvent des inspirations aussi. Une fois validé, je fais les plans d’exécution, puis je commande la matière et c’est parti pour l’atelier. Selon les projets, l’étape de prépa peut aller d’une journée à… trois ans (et oui, ce n’est pas toujours simple de se décider 🙂 ).
Pour les professionnels, il y a encore plusieurs catégories. Je travaille souvent avec des architectes ou des designers. Cela peut être aussi directement des restaurants, des magasins, des bars, des salles de sport… ou encore des professionnel·les artisan·es (charpentiers, menuisiers, électriciens…).
Dans ce cas, ils savent souvent ce dont ils ont besoin. Ils me fournissent des plans de principe que j’adapte en plan de fabrication. Mais même si je travaille d’après des plans, il y a toujours une partie créative : chaque contrainte technique impose de prendre des décisions qui influent sur l’esthétique. Il faut jouer avec ces deux pôles constamment. Il arrive souvent qu’un besoin technique apporte une nouvelle esthétique que le client n’avait pas imaginée.
Atelier OUKA est basé dans l’espace partagé Comme Un Établi, à Rennes. En quoi cet environnement collaboratif influence-t-il ton travail quotidien, et en quoi les échanges avec d’autres artisans sont-ils pour toi une source d’inspiration ou un soutien dans la réalisation de tes projets ?
Comme Un Établi permet la mutualisation d’espaces et de machines. Le fait d’être dans ce lieu me permet d’avoir accès à des machines qui me seraient inaccessibles si j’étais seule dans un atelier. J’ai accès à une guillotine (pour couper les tôles), une plieuse, une cintreuse, une rouleuse… Toutes ces merveilleuses machines me permettent d’accepter des projets que je n’aurais pas pu prendre sans. Ça, c’est la partie purement pratique.
Après, il y a l’aspect social aussi. Nous sommes une quarantaine dans le lieu à pratiquer des métiers différents : menuiserie, sellerie, agencement, lutherie, forge, couture, tapisserie d’ameublement, ébénisterie, charpente… D’une part, cela permet de répondre à des projets grâce à nos complémentarités : j’ai fait un escalier avec un charpentier (Atelier Molow), du mobilier avec un ébéniste (Pennec Création), des assises avec la tapissière (La Fabrique de Margaux)… Cela permet aussi de s’entraider et de pouvoir répondre à de plus gros projets. Par exemple, pour l’aménagement de Ty Bull, j’ai embauché un autre métallier du lieu (Acier Doux Création).
Et ce qu’il ne faut pas négliger : on y rigole beaucoup, et ça, c’est important !
© Claire Panizzollo
Sur quels projets travailles-tu actuellement, et y a-t-il des collaborations ou créations à venir dont tu pourrais nous parler ?
Alors, quand je parlais du fait d’être surprise par mes clients : on est en plein dedans ! Je suis en train de fabriquer l’aménagement d’un centre de lancer de haches pour les Frères Jack’s qui ouvrent une salle à Angers. Je fabrique les couloirs de lancer et le bar. C’est un très beau projet porté par Barp Conception.
Je suis aussi sur un projet qui m’excite beaucoup : j’ai remporté un appel d’offres lancé par Territoire. Ce sont 15 sculptures en aluminium qui seront dans l’espace public, dans le quartier de la Courrouze. La première livraison de cinq sculptures se fera pour fin 2025.
En parallèle, plein de beaux petits projets se profilent à l’horizon : verrières, mobilier… Et à plus court terme, avec Comme Un Établi, nous sommes en train de préparer le Marché de Créateurs (Le Noël des Établis) qui aura lieu les 14 et 15 décembre directement à l’atelier, parmi les machines. C’est un événement qui me tient vraiment à cœur : pour ces deux jours, nous accueillons une soixantaine d’artisan·es de différents univers. C’est pour nous l’occasion de présenter nos savoir-faire et aussi de faire de nouvelles rencontres entre créateurs.
Quels sont tes objectifs pour l’avenir de l’Atelier OUKA, et comment envisages-tu le développement de ton atelier dans les prochaines années ?
Je commence à avoir un bon rythme de croisière : j’ai un gros projet fleuve par an, entouré de chantiers plus petits mais tout aussi intéressants. Ce que j’aime, c’est me renouveler, varier les projets et faire de nouvelles rencontres. J’ai hâte de voir quelles surprises vont me proposer mes futurs clients ! 🙂